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avouée ou trahie : c’est qu’il avait reconnu chez le médecin du XVIe siècle, auquel du reste on commence à rendre justice[1], une disposition d’esprit qui est aussi la sienne ; il y avait retrouvé cet indicible respect pour la réalité qui dans la science devient de l’expérimentation, dans la religion fait entrevoir partout l’opération divine, qui dans la vie de tous les jours enfin se traduit par une tendance à chercher la raison d’être des choses et à regarder à deux fois avant de condamner ce qui ne cadre pas avec la petite idée qu’on s’est faite de ce qui devrait être.

Écoutons plutôt Paracelse à son lit de mort :

« Ce n’est pas une hallucination qui le ranime, murmure Festus en le voyant sourire ; vous êtes donc pardonné, Auréole ? Tout votre péché vous est remis.

« PARACELSE. — Pardonné ! et pourquoi un pardon ?

« FESTUS. — C’est la glorification de Dieu qu’il est enjoint à l’homme de chercher, et vous…

« PARACELSE. — J’ai vécu. Il nous suffit de vivre pour chanter la louange du Seigneur. Il est vrai que j’ai beaucoup péché ; je le pensais, et j’ai besoin en effet de miséricorde, moi qui me suis efforcé de faire ce que je croyais le mal, mais, que nous veuillions faire de notre mieux ou de notre plus mal, la louange de Dieu s’élève et s’élèvera à jamais.

« FESTUS. — Mais tout cela revient au même. Il est vain pour l’homme de tourmenter de ce qui ne relève pas de lui…

« PARACELSE. — Non, non, ne m’interprétez pas ainsi ; que mes paroles ne produisent pas plus de mal que je n’en ai fait. Si je retourne joyeux à Dieu, quoique sans lui rapporter d’offrande, si je semble n’aimer que plus ardemment mon Dieu à cause de mes fautes qui me laissent sans titres et sans droit devant lui, comprenez-moi bien. Il peut se faire qu’il n’en soit pas de tout comme de moi ; il se peut que des récompenses plus hautes attendent le mortel assez fort pour persévérer jusqu’à la fin. D’ailleurs, je ne suis pas tellement sans valeur, quoique j’aie trop vite cessé d’obéir aux instincts de cet pontent temps.

« FESTUS. — Quel heureux temps ! Pour l’amour de Dieu, pour l’amour de l’homme, quel est ce temps que tu appelles heureux ? Tout ce que mon espérance est d’apprendre, ta réponse me l’apprendra. Cet heureux temps ! lequel ?

« PARACELSE. — Lequel, si ce n’est celui où je me suis consacré à l’homme ?

« FESTUS. — Grand Dieu ! tes jugemens sont inscrutables.

« PARACELSE. — Oui, cela était en moi ; j’étais né pour cela… Les fiévreux appétits, les élans incertains et sans but, les ambitions à courte vue, les méfiances, les méprises, tout ce qui se termine par des larmes m’a été épargné. Dès l’abord, j’ai su, j’ai senti, mais non comme on peut sentir ou connaître autre chose ; c’était une vaste perception inarticulée, incompréhensible pour notre intelligence, et qui pourtant se faisait sentir et connaître dans toutes les

  1. Le poète, chose assez curieuse, a donné une leçon aux médecins. En France, il y a quatre ans à peine, il a paru sur Paracelse une étude qui le réhabilitait comme savant.