lutte du désir et de la nécessité, de l’individu et du monde, de la grace et de la loi, du génie des masses. De la sorte, elle se trouve exprimer les idées de M. Browning sur le progrès et sur les voies par lesquelles ils opère. Comment le monde marche-il ? de quel côté doit-il attendre ce qui est nécessaire ? Où est la résistance ? où est la force d’avancer ? La réponse à cette question implique toute la politique d’un homme, et pour sa part M. Browning n’y répond pas comme la majorité de nos écrivains. Il se rapproche assez des opinions que M. Carlyle a énoncées dans son Culte des héros et que Shakspeare avait déjà laissé percer dans son Coriolan.
« Pesez bien mes paroles, dit Paracelse à Festus c’est dans l’individu que l’humanité se développe, et c’est seulement en suivant les traces d’un homme que la foule toujours lente a chance d’avancer. La mer reste dans son lit pendant des siècles jusqu’à ce qu’une vague, une seule entre les multitudes, vienne étendre l’empire de toutes, en gagnant peut-être quelques pieds sur la bande de sable qui avait si long-temps arrêté leurs efforts. Dès-lors les autres, jusqu’à la plus faible, se précipitent dans la brèche, qui est conquise une fois pour toutes. Je me trouverai satisfait si mes travaux, sans pouvoir plus, suffisent du moins pour ouvrir ainsi une trouée, pour préparer un plus vaste champ à la pensée : cela, ils le feront, je le sais… Je précède mon siècle, et quiconque en a l’envie est parfaitement libre de faire de moi l’usage que j’ai dédaigné de faire de mes prédécesseurs, — par vanité peut-être ; mais, si leur science m’avait paru une merveille, j’aurais été autre que je ne suis. »
Et ailleurs, tandis que Festus lui parle de la foule qui se presse avec admiration autour de sa chaire :
« Ils sont tous de même : ils commencent par traiter de chimère tout ce qu’un homme peut entrevoir au-delà de leur horizon ; puis, quand cet homme dont ils avaient prédit la déconfiture réussit à faire dans sa carrière quelques pas douteux et mal assurés, voilà qu’ils s’attendent à voir le terrain disparaître d’un bout à l’autre sous ses pieds. »
Malgré soi, on se rappelle le magnétisme.
Je me hâterai de l’ajouter cependant, il s’en faut que M. Browning méprise les masses. C’est même un aveugle mépris de ce genre qu’il nous montre à la racine des avortemens de Paracelse. Quant à lui, il sait, il croit que chacun a son rôle ; seulement ce n’est pas aux masses qu’il attribue la force active, la puissance d’avancer. En regard du génie, elles sont à ses yeux la résistance, la forme sous laquelle agissent ces grandes nécessités qui veillent sur le monde, et qui sont chargées d’arrêter tout développement individuel avant qu’il impose à la création entière son idéal à lui.
Mais pourquoi Paracelse pour emblème de ce rôle du génie ? pourquoi lui plutôt qu’un génie plus complet ? a-t-on demandé à M. Browning. Entre autres raisons, il en est une, je crois, qu’il a suffisamment