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qui s’accomplit par tout l’ensemble des choses. » - « Nul doute, dit encore l’écrivain anglais, que notre poésie moderne n’ait au moins le mérite de regarder ainsi de plus haut. Si elle n’a pas la solidité massive de l’ancienne épopée, elle se distingue par le sens moral que les objets prennent pour elle. » Il eût pu ajouter : — et par la signification de plus en plus vaste qu’elle donne à ses symboles.

C’est bien là en effet ce qui distingue les modernes : en décrivant l’imagination, le critique anglais a même tracé l’histoire chronologique de la poésie issue des Germains. Tandis que les anciens concevaient le moral d’après le physique, — ils parlaient, on le sait, des cheveux d’Apollon, même en le chantant comme l’invisible souffle qui inspire, — les modernes ont toujours conçu la réalité extérieure d’après ses ressemblances avec leur être moral. Ils étaient psycholoques au maillot ; avec le temps ; ils ont monté un nouvel échelon. Après l’interrègne du XVIIIe siècle, qui s’était enfermé dans un petit coin et qui cherchait seulement des moyens de bien dire, des moyens de calquer des silhouettes, la poésie anglaise est devenue humaine : c’est l’humanité qu’elle a tâché d’apercevoir dans l’individu. Maintenant il me semble qu’elle vise plus loin : depuis vingt-cinq ans environ, elle aspire, comme le Paracelse de M. Browning, — et les lambeaux disséminés de cette aspiration générale présentent une analogie frappante avec les lambeaux d’une autre aspiration aussi générale, qui va vers de nouvelles croyances religieuses ; ou, si l’on veut, vers une nouvelle interprétation à donner aux anciennes. Je croirais volontiers que l’on cherche la poésie protestante, mais non pas calviniste, prenons-y garde. Par la voix de Milton, l’esprit calviniste avait dit comment il s’expliquait le monde par la lutte de Dieu et de Satan, du bien et du mal c’est de cette interprétation qu’on s’éloigne : On ne reprocherait plus aujourd’hui à Wordsworth de ne pas croire assez à la perversité de l’homme[1]. Il y aurait plutôt tendance à reprendre le protestantisme primitif de Luther pour le mener à un autre aboutissant ; et, quant à la poésie, elle élabore sourdement des types du même genre, quoique d’une autre espèce, que ces divinités où les Grecs avaient personnifié les forces primaires telles qu’ils les concevaient ; — à son tour, elle voudrait les personnifier telles que l’Angleterre les conçoit, telles que les concevait déjà cette même nature saxonne, qui, chez Luther, avait essayé de transformer la théologie.

Cela, c’est le probable ; ce qui est plus évident, c’est que la poésie anglaise est revenue, non pas tout-à-fait au sanctuaire d’où est sortie toute poésie, mais peu s’en faut. Si elle ne s’est pas confondue de nouveau

  1. Dernièrement M. Bailey a écrit un poème dont j’aurai occasion de parler, et toute la presse anglaise ou à peu près s’est enthousiasmée pour le jeune poète ; précisément parce qu’il bénissait le mal lui-même comme le divin ouvrier du bien.