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avec la Grèce ancienne. La vue d’un genre de perfection incomparable qui avait sa cause souveraine dans le contre-poids, l’équilibre et l’harmonie des mérites les plus opposés, cette vue bienfaisante peut contribuer efficacement à nous guérir de la fièvre de l’esprit, bien autrement pernicieuse que celle du corps, et nous donner le salutaire dégoût de tout ce qui ressemble à l’emphase, à la déclamation, au laid, au faux. Une telle disposition peut-elle se payer trop cher ? Celui qui l’aura sinon acquise, du moins recouvrée au contact de Phidias et d’Ictinus sera, j’en suis sûr, reconnaissant envers les Hellènes dont la filiale a reconquis et purifié le sanctuaire de l’art.

Plus ira le monde, plus ces grands restes de l’antique lui deviendront précieux. Que les Héllènes, par leur exemple, continuent à en exciter chez les savans, chez les artistes, l’amour religieux et éclairé. Aussi bien, ce n’est pas là seulement une question d’archéologie. Comme au temps de Sylla, les morts, présens dans leurs œuvres, viellent sur les vivans, et dans les mauvais jours sauraient les protéger encore. Ce ne sera pas pour les Grecs modernes un médiocre d’avoir sauvé, rétabli des chefs-d’œuvre que le génie de l’homme n’eût pas enfantés une seconde fois. L’avenir leur saura gré d’avoir reconstruit le temple de la Victoire, relevé l’Erechteum, déblayé les Propylées, consolidé l’Olympium, empli de curieux fragmens le temple de Thésée, isolé la Tour des Vents et la lanterne de Démosthène, cherché dans les provinces jusqu’aux traces les plus effacées des siècles anciens, — enfin d’avoir presque restitué sa forme au Parthénon. Avec de tels gardiens, nul danger ne menace plus la Grèce antique, ce musée de temples et de portiques qui était le bien de tout le monde, et que tout le monde aurait dû respecter. Pour moi, ce sera toujours avec un sentiment de reconnaissance pour les auteurs de ces pieuses restitutions que je me rappellerai ces longues heures passées dans un repos fécond au pied des colonnades, cette première et vivifiante haleine de l’embat[1] m’apportant sur son aile, avec la fraîcheur des golfes voisins, les parfums subtils de la plaine, ces nuits surtout, ces nuits délicieuses où cachée encore par l’Hymette, la lune blanchissait peu à peu des clartés de sa douce aurore le faîte brisé des frontons. Comment oublier ces beaux lieux qui, après avoir ravi l’esprit, s’emparent du cœur et le retiennent par d’intimes attaches ? Parmi ceux qui ont le sentiment de l’antique et de l’art, nul ne les habite sans les aimer comme on aime une patrie retrouvée, nul ne les quitte sans les regretter comme on regrette une patrie perdue.


CHARLES LEVEQUE.

  1. Les Athéniens nomment ainsi le vent qui souffle de la mer.