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des ornemens les plus ingénieux et les plus élégans n’a connu d’autres limites que celles du goût même. Quant à la forme humaine, trois fois elle se montre au Parthénon, à la frise, au fronton, aux métopes, et chaque fois avec un relief, des dimensions, des poses et un cortège différens. Et pour sentir tout le prix de cette variété discrète et sobre, il faut se rappeler ici les temples de l’Égypte, leurs pylônes criblés d’hiéroglyphes, leurs colonnes courtes, dont les mille caprices du dessin le plus bizarre ne réussissent pas à corriger la monotone pesanteur, tant il y a loin de la variété à ce qui n’est que multiple !

La même distance sépare l’uniformité égyptienne de l’unité grecque ; la première lasse l’attention, la seconde lui vient en aide en n’offrant à ses prises que des objets où tous les élémens sont liés et se justifient mutuellement : ce sont les membres d’un même être et d’un être harmonieux et proportionné ; les parties opposées s’appellent et répondent par un accord spontané où ne paraît ni gêne ni contrainte. Le monument s’élève-t-il, tout en lui grandit ensemble et de concert, colonnes, architrave, fronton ainsi grandissent les beaux enfans et les beaux arbres ; ainsi grandirent sans doute les belles montagnes au temps où la terre, cherchant ses formes dernières, s’achevait avec la lenteur des siècles et s’apprêtait à recevoir l’homme. Que le monument s’abaisse au contraire, et tout se réduit selon une rigoureuse échelle de proportion dont la science moderne, qui n’a pu encore en découvrir la loi, reconnaît cependant l’existence et proclame l’effet.

En dépit d’un préjugé assez répandu, l’art grec n’entre dans les cadres réguliers de la symétrie qu’à la condition de s’y mouvoir avec aisance et liberté. L’Erechteum est un temple en deux chapelles extérieures l’une à l’autre, d’inégale grandeur et sans aucune ressemblance. Le spectateur qui, appuyé contre le rempart occidental de l’Acropole, regarde devant lui voit le petit temple de la Victoire sans ailes dépasser en hauteur le toit de la Pinacothèque, le faîte des Propylées, et masquer le fronton du Parthénon. Est-ce hasard ? est-ce négligence ? Ni l’un, ni l’autre. La symétrie est une raison purement géométrique, et c’est toujours d’après des raisons de convenance morale ou locale que se décide l’art grec. Sa position fut marquée à l’Erechteum par la tradition religieuse qui plaçait là la trace du coup de trident de Neptune et le point où s’éleva l’olivier de Minerve. Le temple de la Victoire sans aile rappelle la mort d’Égée et consacre le rocher d’où il s’élança.

Quand la tradition est muette, l’architecture grecque consulte la nature. Ce n’était pas assez de lui avoir rendu un premier et grand hommage en s’appropriant ses qualités essentielles ; les Grecs ont prouvé d’une autre manière à quel point ils en comprenaient les procédés et en devinaient les intentions et l’esprit. Dans un pays où quelques années et un peu de poudre ont suffi pour faire sauter le mont