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l’écouter, s’explique sur elle-même avec une pénétrante éloquence. Une magique lumière qui, versée à flots à travers un pur éther, rapproche les objets, en éclaire jusqu’au moindre détail et leur communique, aux heures brûlantes, je ne sais quelles étranges palpitations semblables, de loin, à une vie dans la pierre ; des nuits sereines dont les ténèbres transparentes voilent tout et ne cachent rien ; un climat qui, sur terre et sur mer, laisse les voies praticables en toute saison et le pays toujours accessible ; enfin le dessin net et correct des motifs dans la simple ordonnance de l’ensemble : tous ces secours livrent au voyageur attentif le secret de la perfection de l’œuvre. Ce secret, c’est le plan suivi par le Créateur lui-même, plan divin que le génie grec a entrevu, et que dans ses grands jours il a pris pour modèle.

En Grèce, le contour des montagnes, ce profil du paysage sur le ciel, est généralement pur, et décrit avec ampleur des lignes soutenues dont les mouvemens balancés semblent suivre les lois d’une mystérieuse architecture. Les admirateurs sérieux en sont frappés au point de résister rarement à la double tentation, d’abord d’attribuer à ces lignes une influence réelle sur l’art, et d’en chercher ensuite la reproduction fidèle dans la figure des monumens. Le fronton du Parthénon ressemble tant au Pentélique ! le triangle percé au-dessus de la porte du trésor d’Agamemnon à Mycènes répète si exactement les pics d’alentour ! Ces analogies existent, j’en tombe d’accord ; mais, qu’en conclure ?… Laissons là ces jeux d’esprit. L’art grec a trouvé son modèle non dans la face du pays, mais dans sa physionomie ; s’il a regardé le corps, ce n’a été que pour y lire la pensée : cette pensée, il l’a ravie, il l’a faite sienne et l’a mise après dans un corps nouveau, beau comme le premier, quoique d’une beauté moins accomplie et d’un autre visage. Tel est le procédé du génie : il pétrit et anime comme Prométhée ; mais ce qu’il dérobe au ciel, ce n’est pas l’argile, c’est le feu, et quand, s’inspirant de l’œuvre divine sans la copier, il a élevé la plastique même jusqu’au spiritualisme, il arrive que la nature et les monumens apparaissent comme deux copies d’un même et éternel modèle, l’une de la main de Dieu, l’autre de la main de l’homme.

C’est ainsi qu’en Grèce cette variété, qui nous enchante dans le paysage, a passé dans les œuvres de l’art avec ses caractères opposés de fécondité et de mesure. Les temples grecs sont de dimensions différentes ; ils ne varient pas moins dans leurs formes. Sur la seule Acropole, trois temples sont debout sans compter les Propylées : on y trouve les deux ordres principaux, le dorique au Parthénon, l’ionique à la Victoire aptère et à l’Erechtée, et dans celui-ci deux ordres à la fois, si l’on peut rapporter à un ordre les adorables canéphores de Minerve Pandrose. Dans la sculpture des temples, la seule dont il reste en Grèce quelques remarquables débris, la variété, la richesse, le luxe même