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contre les boulets de l’ennemi, pendant la paix contre des convoitises audacieuses qui visaient, non à les posséder pour eux-mêmes, mais à en faire trafic et marchandise. À une époque ou les siéges étaient devenus de plus en plus meurtriers par l’usage de l’artillerie, un gouvernement qui aurait seulement soupçonné la valeur des monumens grecs se serait gardé d’y entasser des provisions de poudre. Cette sacrilège imprudence avait fait sauter en 1656 le temple charmant de la victoire sans ailes. Il y avait là une leçon pour l’avenir. Voici comment les Turcs en profitèrent. Lorsqu’en 1687 l’armée vénitienne, sous les ordres de Morosini et de Koenigsmark, vint attaquer Athènes, les assiégés firent au Parthénon leur magasin à poudre. Six pièces de canon et quatre mortiers établis sur le Pnyx battaient en brèche la citadelle la citadelle. Une catastrophe était inévitable. Enflammées par une bombe, les poudres firent explosion, et le temple de Minerve, qui, un instant auparavant, brillait de cette fleur de jeunesse dont Plutarque avait été ébloui, ne fut plus qu’une immense ruine. Ce ne fut point là le seul désastre causé par cette guerre fatale. Morosini le Peloponésiaque entra dans Athènes. La peste, qui le suivait de près, l’en chassa bientôt. Toutefois, au moment de partir, les statues du fronton du Parthénon le tentèrent, et il ordonna à ses soldats de les enlever ; mais les dieux de Phidias, échappant aux prises malhabiles de ces rudes marins, allèrent se briser sur le rocher où l’amiral, pressé de gagner l’Eubée, abandonna leurs fragmens épars. Là demeurèrent pendant plus de cent ans, renversés pêle-mêle et irrémédiablement tronqués, tous les personnages de cette scène épique, où le maître avait représenté la célèbre dispute entre la fille et le frère de Jupiter au sujet de l’Attique. Là étaient Minerve elle-même et Neptune, la Victoire, Cécrops ou Érechtée, Latone, et ce jeune homme étendu, fleuve ou demi-dieu, Hyssus ou Thésée, d’une si absolue perfection, que Quatremère de Quincy ne savait rien qui lui fût comparable, non pas même les groupes de Monte-Cavallo ou le torse du Belvédère. Quand la Grèce eut reconquis son indépendance, elle ne les retrouva plus à cette place. Ces fragment du Parthénon, abandonnés, par les soldats de Morosini, étaient partis pour l’Angleterre sur les vaisseaux de lord Elgin.

Toutes les formules de l’indignation ont été épuisées contre la conduite de lord Elgin en Grèce. Chateaubriand lui a infligé un blâme qui passera à la postérité avec l’Itinéraire. Lord Byron l’a mis à la fois au-dessus et au-dessous d’un Goth. Les Hellènes le maudissent, et un boulet intelligent a broyé la pierre où il avait gravé son nom. Aussi faut-il peut-être le tenir pour dûment châtier, et aujourd’hui surtout qu’il est mort et qu’il appartient à l’histoire, se borner à le juger froidement. Reconnaissons d’abord que lord Elgin a fait quelque bien. Il a fouillé le trésor d’Agamemnon à Mycènes, il a déblayé le Pnyx, et il a placé sous les yeux de l’Europe les sculptures du Parthénon dans un