Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

habiles, assez sensés pour respecter le modèle qui leur est confié, assez adroits pour enlever les bavures du métal sans entamer ce qui doit rester, assez familiers avec les lois du dessin pour comprendre où finit la forme vraie, où commerce le caprice. La plupart des ciseleurs, et je suis loin de m’en étonner, préfèrent, comme tant de graveurs en taille-douce que je ne veux pas nommer, le maniement de l’outil au respect de la forme. Au lieu de chercher la précision, la pureté, la vérité, ils prodiguent les coups de lime et les coups de ciseau jusqu’à ce que toutes les parties du modèle soient bien polies, bien lisses. Que la forme demeure ce qu’elle était, ou qu’elle s’altère, peu leur importe, et l’engouement de la foule pour le bronze nettoyé se charge de les absoudre. Cette déplorable habitude n’est-elle pas d’ailleurs une nécessité ? Étant donné le prix moyen du travail, comment l’ouvrier ciseleur trouverait-il le temps d’étudier le dessin ? et comment, sans l’étude du dessin, pourrait-il respecter les contours et la forme primitive ? La question, posée en ces termes, se réduit pour lui à respecter ce qu’il ignore. Le lion de 1847 a subi les outrages de la ciselure, tandis que le lion de 1833 est devant nous tel que l’auteur l’a conçu. Le métal, en prenant la place de la cire, a reproduit jusqu’aux moindres coups d’ébauchoir. Ces détails, purement techniques, disent assez clairement pourquoi dans le lion au repos plusieurs détails, dont l’importance ne peut être contestée, semblent omis par l’auteur, tandis qu’ils ont été effacés par la ciselure. Cette apparence d’omission, par un motif que je ne me charge pas de déterminer, est plus sensible dans les membres postérieurs que dans les membres antérieurs. L’infernal outil qu’on nomme riffloir a poncé les cuisses du lion comme une planche de sapin, tandis que les épaules ont échappé à ses coups. Toutefois, pourvu qu’on veuille bien reculer de quelques pas et contempler la silhouette et la masse de la figure, au lieu d’éplucher les détails, il me semble impossible de méconnaître la supériorité du lion au repos sur le lion qui tient le serpent dans ses griffes. Quelques pas suffisent, en effet, pour restituer à la pensée du statuaire toute sa grandeur, toute sa vérité. Les divisions que l’art grec a si bien établies, et dont il a usé avec tant de réserve, que l’art romain a trop souvent appliquées avec sécheresse, sont ramenées par M. Barye à leur sens primitif ; le lion de 1833 est une œuvre habile, le lion de 1847 est une œuvre monumentale. Si Honoré Gonon eût fondu le second comme il avait fondu le premier, il ne resterait aucun doute à cet égard.

Aujourd’hui non-seulement la foule, qui consulte ses impressions sans prendre la peine de les analyser, mais plusieurs esprits sérieux dont l’autorité en pareille matière doit être prise en considération, préfèrent le premier ouvrage au second. Je constate le fait sans l’accepter comme un argument décisif ; j’ai foi dans l’action du temps, et