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unanime de plusieurs générations sont inviolables, et que la loi sévira contre ceux qui oseront les profaner ? Le charmant portrait de Rubens, qui fait pendant à la maîtresse du Titien, et destiné par M. Duban à égorger fra Angelico, n’a pas été traité avec plus de respect. Que la loi parle, et les tribunaux parleront.

Dans la salle dite des sept cheminées, la peinture n’est pas soumise à des épreuves moins cruelles. David, Gros, Guérin, représentés par leurs œuvres les plus éclatantes, sont réduits à néant, grace au fond violet imaginé par M. Duban. Géricault seul résiste à cette attaque furieuse de l’architecture. La. Méduse, le Chasseur, le Cuirassier, se détachent vigoureusement sur ce fond criard, et le spectateur les admire comme si l’architecte ne les avait pas condamnés. Un délicieux portrait de femme, de Prudhon, essaie de lutter, mais succombe à la tâche. Les Sabines, Léonidas, Eylau, ne sont plus qu’une purée sans nom. L’Antiope du Corrége, placée sur un écran écarlate dans le salon carré, a gardé sa splendeur, sa divine beauté. David, Gros et Guérin, animés d’un sang moins généreux, devaient périr dans la bataille, et ils ont péri, ou du moins, tant qu’une main bienfaisante ne les aura pas délivrés des étreintes de l’architecte, ils seront rayés de la liste des vivans. Que le fond violet disparaisse et soit remplacé par un fond plus indulgent, et David, Gros et Guérin, que je ne songe pas à mettre sur la même ligne que Raphaël et le Vinci, reprendront sans effort le rang qui leur appartient. Dans l’état présent des choses, il ne faut pas songer à regarder les œuvres qui ont fondé leur renommée. M. Duban s’est chargé de les tuer, et n’a été que trop bien servi. Comment les Sabines et Léonidas résisteraient-ils à cette cruelle épreuve ? Le mérite linéaire qui les recommande ne doit-il pas s’effacer devant l’éclat criard du fond choisi par M. Duban ? Eylau pâlit et n’est plus qu’une ombre. Les mémoires les plus fidèles se demandent avec étonnement ce qu’est devenue la majesté de cette peinture. M. Duban, par la toute-puissance de sa fantaisie, réduit au silence, à la confusion, les esprits les plus résolus. Personne n’oserait défendre David, Gros et Guérin dans la salle des sept cheminées. L’architecte a pris soin de réduire à néant tous les argumens qui pourraient se produire. Toutes les pensées de ces hommes habiles, si applaudies dans les premières années du siècle présent, ne sont plus maintenant que des scènes inintelligibles. M. Duban, qui avait traité si rudement l’école de Florence, s’est montré sans pitié pour l’école de France. Il avait pardonné à l’école de Parme dans la personne d’Allegri ; ne devait-il pas prendre sa revanche sur David ? Il s’est cruellement vengé, et les peintres, à compter de ce jour, doivent voir en lui un irréconciliable ennemi. Je ne crois pas qu’il soit possible d’attribuer un autre sens au salon carré, à la salle des sept cheminées : c’est une guerre à outrance.

Les amis de M. Duban ont dit et répété à l’envi qu’il avait voulu faire du salon carré quelque chose d’analogue à la Tribune de Florence. J’accepte l’intention comme excellente ; quant au fait, je ne saurais l’accepter. Si Florence était aussi éloignée de Paris que Canton, il serait facile de se livrer à des conjectures sans fin, et la discussion ne saurait où se prendre ; mais Florence n’est pas à huit jours de Paris, et la Tribune de Florence est connue depuis longtemps par un grand nombre de voyageurs. Or, je m’adresse à tous ceux qui ont visité la Toscane, et je leur demande s’il est permis d’établir un parallèle