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modernes, car personne n’a poussé aussi loin que lui, dans un pareil sujet, la puissance de l’imitation ; mais il avait trop de clairvoyance pour se contenter aussi facilement que la foule. Malgré l’admiration qui avait accueilli son début, malgré les applaudissemens très légitimes obtenus par ce premier ouvrage, il comprenait qu’il devait, qu’il pouvait mieux faire encore, et, pour reconnaître dignement les sympathies qu’il avait rencontrées, il résolut de combler les lacunes qu’il découvrait dans l’expression de sa pensée, d’obéir aux conditions qu’il avait violées à son insu, et je prouverai sans peine qu’il a tenu parole.

Entre le lion dont je viens de parler et le lion au repos qui lui fait face, il y a un intervalle de treize ans, car ce dernier porte la date de 1847. Le plus rapide examen suffit pour démontrer que l’auteur, en le modelant, ne gardait plus pour la réalité un amour aussi exclusif qu’en 1833, et surtout qu’il avait compris la nécessité de diviser la figure par grandes masses. Les épaules et les cuisses sont vigoureusement accusées, l’échine est marquée d’une façon puissante, la charpente osseuse est indiquée avec précision. Pour tout dire, cette seconde figure a plus de solidité que la première, et n’a pourtant pas moins de souplesse. L’opinion que j’exprime ici n’est pas généralement adoptée, et cependant je la crois vraie. Il ne faut pas, en effet, se laisser abuser par la première impression que produit cet ouvrage. Au lieu d’une excellente fonte à cire perdue, nous avons devant les yeux une fonte au sable qui laisse trop à désirer ; de là une certaine rondeur dans le modelé que la figure ne présentait pas en sortant des mains du statuaire, dont le bronze est seul responsable. Tous ceux qui combattent ma préférence ne manqueraient pas d’embrasser mon avis avec empressement, s’ils consentaient à faire abstraction des imperfections de la fonte. Pour peu qu’on ait pris la peine d’étudier les procédés de la fonte à la cire et de la fonte au sable, on demeure convaincu que la première de ces deux méthodes offre seule au statuaire la certitude de voir son œuvre fidèlement, littéralement reproduite, telle enfin qu’elle est sortie de ses mains. Dans l’application de cette méthode, tout réussit à merveille, ou bien tout est à recommencer ; c’est ce qui explique, outre la différence des frais, pourquoi les statuaires y recourent si rarement. Dans la fonte au sable, au contraire, si la reproduction est moins fidèle, si elle est presque toujours incomplète, d’une exactitude contestable dans les détails les plus délicats, il n’arrive jamais qu’elle échoue complètement. Une partie quelconque de la figure vient-elle d’une façon trop grossière, on la coupe, on la recommence, et l’ouvrier ajuste les morceaux ; mais, lors même que toutes les parties viennent également, il n’est guère possible d’éviter la ciselure. Or, la ciselure est un des fléaux de la statuaire. Il y a bien peu d’ouvriers assez