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épiant avec la même ardeur les secrets de la nature, qu’il a prise pour modèle et pour guide, il n’a pu s’empêcher d’attribuer d’année en année une importance, une autorité de plus en plus grande aux traditions, aux monumens de l’art antique. Esprit éminemment progressif, sans déserter les principes qu’il avait adoptés au début, il a su pourtant profiter des enseignemens du passé aussi bien que du modèle vivant placé devant ses yeux. Entre le lion exposé au Louvre en 1833 et le Combat du Lapithe et du Centaure que nous avons admiré cette année, il y a une grande différence de style, quoique l’auteur, dans le dernier comme dans le premier de ces ouvrages, se soit efforcé de lutter avec la nature. Il me semble utile de marquer la route parcourue depuis le point de départ jusqu’au point d’arrivée.

Le lion exposé au Louvre en 1833 excita un cri général d’étonnement parmi les partisans de la sculpture académique. Bientôt l’étonnement fit place à la colère, car le public, en dépit des remontrances que lui adressaient les professeurs et tous ceux qui juraient d’après leurs maximes, s’obstinait à louer M. Barye comme un artiste aussi hardi qu’habile. On avait beau lui répéter que ce n’était pas là de la sculpture ; il ne tenait aucun compte de ces bruyantes déclamations, et répondait au reproche d’ignorance en se pressant autour de l’œuvre nouvelle. Quand le modèle, acheté par la liste civile et fondu à la cire par Honoré Gonon avec une rare précision, fut placé aux Tuileries, on raconte qu’un artiste, connu depuis long-temps par l’inébranlable fermeté de ses principes, s’écria avec une colère pleine de naïveté. Depuis quand les Tuileries sont-elles une ménagerie ? » Il y a dans cette boutade, que je n’ai pas entendue de mes oreilles, mais qui m’a été rapportée par un homme digne de foi, tous les élémens d’une critique judicieuse et complète. Sous l’apparence de l’ineptie se cache une admiration qui s’ignore elle-même ; la colère même est un hommage involontaire à la puissance du talent. Les lions que nous sommes habitués à voir dans nos jardins, les lions placés aux Tuileries du côté de la place de la Concorde, n’ont rien de commun avec les lions de la ménagerie. Figures sans nom, affublés de perruques à la Louis XIV, ils ne rappellent guère le roi des forêts. Ce type de lion glorieusement inauguré par M. Plantard et multiplié à l’infini par ses élèves s’appelle, dans la langue des architectes, lion d’ornement. Vouloir imiter avec l’ébauchoir le lion qui rugit, dont les yeux étincellent, dont la crinière se hérisse, qui guette et dévore sa proie, c’était manquer de respect pour ce type bienheureux. Il y avait donc dans la hardiesse de M. Barye quelque chose d’irrévérencieux, et la colère dont je racontais tout à l’heure l’expression naïve n’a pas besoin d’être expliquée.

Le lion de M. Barye étreint un serpent entre ses griffes et s’apprête à le dévorer. L’expression du regard, le mouvement des épaules ; l’attitude