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Il faut l’entendre lorsqu’elle tend ses gluaux pour attraper les galans ; elle est riche, elle aura telle somme de son père, et ceci, et cela, et cela encore ; bien heureux qui héritera avec elle ! On la fait bavarder, on rit, on se moque, non pas tous cependant ; à hableur, hableur et demi ; il y a là un certain marchand de coton, grand négociant, à l’en croire, spéculateur intrépide et habile, en relations avec toutes les fabriques de la Suisse et de la France, qui n’a pas de peine à s’emparer de l’imagination d’Élise. Cet aventurier, espèce de rustre endimanché, est le mari qui lui convient. De retour à la ferme, Élise est bien fière d’annoncer son prochain mariage avec un marchand de la ville. Qui est bien mystifié alors ? C’est Uli. Il est furieux ; le dépit et la honte, sans parler des reproches de sa conscience, rendent sa position insoutenable ; il serait tout prêt à quitter la ferme, si Bréneli, son guide toujours présent, ne lui conseillait de rester et de déjouer par son indifférence les railleries qui le menacent.

Est-il nécessaire d’ajouter que Bréneli sera bientôt sa femme ? Toute cette fin du roman est pleine d’une fraîche et adorable poésie. La femme de Joggeli est une bonne créature, aussi affectueuse que son mari est hargneux ; elle aime sa petite cousine, elle sait tout ce que vaut Uli, et, voyant bien qu’ils s’aiment depuis long-temps sans se le dire, elle voudrait les marier. Elle a encore d’autres projets : Joggeli commence à se faire vieux, pourquoi n’affermerait-il pas son domaine ? et quel autre fermier trouverait-il plus laborieux, plus économe, plus fidèle que l’excellent Uli ? Pour cela, il faudrait à Uli deux choses : une bonne ménagère et quelques avances en argent. La ménagère, ce n’est pas là ce qui l’embarrasse ; mais l’argent ! elle prend le parti d’aller trouver l’ancien maître d’Uli, ce bon maître qui a fait ce bon serviteur, qui l’aime si sincèrement, et qui certes lui prêtera sans hésiter. Un matin donc, elle part pour la ferme du cousin Jean ; elle se fait accompagner par Bréneli, et c’est Uli qui conduit la voiture. C’est un samedi ; la matinée est charmante, une fraîche et poétique matinée de mai. Il paraît que le samedi est, en Suisse, le jour consacré aux promenades des fiancés. Partout où ils passent, sur la route et dans les villages, à voir ce beau garçon et cette belle fille, qui ne croirait voir un de ces couples heureux parcourant gaiement le pays sous l’œil charmé de leur mère ? A chaque auberge où ils s’arrêtent, l’hôtesse les complimente. Bréneli, toute rouge, toute confuse d’abord, finit par se fâcher ; elle se fâche sérieusement, lorsque l’ancien maître, après avoir promis ce qu’on lui demande, veut terminer tout et marier les deux jeunes gens. — Il ne m’aime pas, dit-elle ; il a voulu épouser Élise ; c’est par dépit qu’il s’adresse à moi. — Et cette fierté naturelle, qui donne tant de prix à cette charmante fille, se révolte aussitôt. L’auteur a traité ces jolies scènes avec une franchise et une délicatesse dignes des plus grands éloges. Qu’y a-t-il dans ces humbles événemens ? Peu de chose,