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Un parti sérieusement libéral s’empara des affaires, et s’il eût été aussi fort, aussi persévérant qu’il était intelligent et honnête, il eût épargné bien des embarras à l’Europe et bien des misères à la Suisse. Avant que les chefs de ce sage mouvement de réformes abdiquassent devant la démagogie, il y eut quelques années d’un généreux enthousiasme. À cette aristocratie hautaine qui pesait depuis quinze ans sur le pays, à ces vieilles institutions condamnées par l’esprit du XIXe siècle et si arrogamment restaurées, on avait hâte de faire succéder maintes innovations fécondes, maintes réformes exigées par la liberté et la justice. Un noble amour du progrès s’introduisait de tous côtés. L’enseignement populaire, les maisons de secours pour les pauvres, diverses œuvres de charité et d’amélioration sociale étaient l’objet des plus sympathiques études. M. Bitzius, dans sa petite commune, s’était associé ardemment à toutes ces réformes, à toutes ces espérances généreuses. Nommé en 1832 pasteur à Lützeifluch, il avait senti redoubler son zèle ; il n’y avait pas d’ouvrier plus modeste et plus laborieux dans ce travail de régénération qui occupait les intelligences d’élite. Les démagogues vinrent tout arrêter. Ce mouvement désintéressé fit bientôt place aux spéculations acharnées des factieux ; le désordre s’empressa de mettre à profit la confiance de l’esprit de réforme ; le mal étouffa les semences du bien. C’est alors que M. Bitzius comprit l’urgente nécessité de combattre par sa plume les influences pernicieuses qui devenaient chaque jour plus menaçantes. Si toute la Suisse avait à souffrir de la violence des tribuns, le canton de Berne particulièrement était la proie de la démagogie germanique. Tandis que, sous le nom de jeune Allemagne, des écrivains plus prétentieux que redoutables organisaient à Mannheim et à Stuttgart, à Hambourg et à Berlin, une sorte d’insurrection littéraire, le même nom servait à désigner en Suisse le matérialisme le plus hideux. La jeune Allemagne, dont MM. Gutzkow et Théodore Mundt étaient les coryphées vers 1835, prêchait la réhabilitation de la chair avec ce précieux dilettantisme, avec ce mysticisme sensuel auquel les imaginations allemandes se laissent si aisément entraîner. La jeune Allemagne du canton de Berne, ramas d’aventuriers et de charlatans politiques, prêchait et pratiquait les mêmes doctrines sans le moindre mysticisme, on peut le croire, et avec une espèce d’emportement sauvage : c’était le cynisme le plus effronté, cynisme qui n’attendait plus que la jeune école hégélienne pour prendre des allures dogmatiques et pédantes. Ce progrès ne lui a pas manqué, c’est vers 1839 environ que l’école Hégélienne a fourni une certaine quantité de formules à la démagogie allemande du canton de Berne. On conçoit quel dégoût dut ressentir une ame candide et libérale en présence des ténébreuses milices acharnées à détruire l’ouvrage des mens de bien. Ce n’étaient plus seulement les généreuses espérances