Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inspiration, si nous voulons voir l’union si rare d’un libre cœur d’artiste et d’un chrétien dévoué, étudions les rustiques peintures de Jérémie Gotthelf.

Jérémie Gotthelf est un pseudonyme. L’écrivain qui se cache sous ce nom est un pasteur des environs de Berne, M. Albert Bitzius. La renommée de M. Bitzius s’est établie lentement comme les renommées durables. Bien qu’il eût une vocation littéraire très marquée, ce n’était pas la gloire d’écrivain qu’il poursuivait ; il était préoccupé avant tout de l’action d’un ministère utile, du bien qu’il pouvait faire autour de lui, des cœurs souffrans, des intelligences malades qu’il avait à consoler et à guérir. C’est ainsi que ce nom, appelé certainement à une place très originale dans la poésie du XIXe siècle, est demeuré long-temps inconnu hors des limites d’un canton de la Suisse. M. Bitzius est né à Morat le 4 octobre 1797. Son enfance s’écoula loin de la ville, en présence des spectacles grandioses de la nature et dans la saine atmosphère des travaux agrestes. À l’âge de seize ans, il alla étudier la théologie à Berne, puis en Allemagne, à l’université de Goettingue. Ce n’était pas la théologie seulement qui occupait cette vive intelligence ; passionné pour la poésie, il s’initia pendant ces années d’études à toute la littérature allemande, y cherchant surtout sans doute les inspirations familières, la grace domestique et chrétienne, toutes ces richesses morales qu’il devait conserver avec amour pour les opposer plus tard aux inspirations toutes différentes d’une Allemagne en délire. Sept années après, il revenait comme vicaire dans ses campagnes natales, et pendant douze ans, de 1820 à 1832, il put connaître dans ses mœurs les plus intimes ce peuple auquel il avait résolu de consacrer sa vie. On n’ignore pas combien cette existence ecclésiastique, l’existence du pasteur ou du curé de campagne, a souvent inspiré de poètes et produit de physionomies originales. Une des meilleures parts de la poésie anglaise, un de ses plus gracieux domaines, c’est ce monde de recteurs et de vicaires où sourit à côté de l’excellent curé d’Auburn la figure malicieusement naïve du vicaire de Wakefield. Thompson, Penrose, William Cowper, se rattachent par bien des points à cette famille dont Goldsmith a tracé l’idéal. L’Allemagne est riche aussi en tableaux de ce genre ; qui ne connaît le vénérable pasteur de Grunau ? Hebel était pasteur comme le héros de Voss ; un écrivain plein de grace, le digne Gustave Schwab, qui vient de mourir, associait avec amour les fonctions du sacerdoce et les travaux littéraires ; un autre rêveur animé des sentimens les plus purs, M. Albert Knapp, est aujourd’hui pasteur de campagne, et c’est dans cette atmosphère que s’épanouissent ses chants. Malheureusement tout cela s’efface ; les modèles sont devenus plus rares, et, à supposer même que ces douces physionomies du vieux temps n’aient pas subi d’altération sensible, les poètes leur ont manqué.