venu qu’après ; c’est depuis 1848 qu’il compose avec une négligence superbe et une imperturbable assurance, au milieu des allées et venues de sa carrière politique, les œuvres les plus fausses qu’ait produites l’inspiration prétendue populaire.
Les vieux poètes que je signalais tout-à-l’heure ont négligé souvent les conditions de l’intérêt dramatique ; ils étaient du moins toujours vrais, toujours sincères, et, depuis cette renaissance de la littérature consacrée au peuple, la sincérité a fait défaut. Si l’esprit révolutionnaire n’agitait pas l’Europe, aurait-on vu en Allemagne et en France tant de romans qui ont la prétention de peindre les classes inférieures ? Évidemment non. L’inspiration qui domine ici, c’est le désir de flatter le peuple et non le souci de son éducation morale, c’est l’inspiration sèchement démocratique, tantôt dissimulée par les artifices du métier, tantôt affichée sans détour. Comparer la nouvelle école avec le groupe naïf où brillent Jung Stilling et Hebel, ce serait donc opposer l’une à l’autre et juger par leurs fruits l’inspiration démocratique et l’inspiration chrétienne, celle-ci ne songeant qu’à éveiller l’orgueil, celle-là se proposant toujours la réhabilitation de l’homme par la pratique du devoir. On reviendra, nous n’en doutons pas, à ces candides interprètes d’un autre temps. Si brillantes que soient telles ou telles créations de l’école moderne, il faudra bien qu’on en découvre la pensée secrète ; or, dès qu’on aura pénétré le sens de ces œuvres, lorsqu’on saura quelle sécheresse de cœur ou quelles vues insidieuses se dissimulent souvent sous les ruses d’un art incontestable, on appréciera mieux la pieuse simplicité de Hebel, la gravité convaincue de Voss, la douceur fortifiante de Jung Stilling et de Pestalozzi. Jérémie Gotthelf se rattache à ces aimables et illustres maîtres, non pas certes, on va le voir, par les procédés du dessin (les hardiesses de Gotthelf n’appartiennent qu’à lui), mais par ce fonds de croyances qui domine, qui dirige toujours dans ses moindres écrits la verve extraordinaire de l’artiste. Ce qui m’attire surtout dans ses ouvrages, c’est précisément ce qui fait le mérite de l’ancienne école et ce qui manque trop à la nouvelle c’est la sincérité, c’est l’amour désintéressé du pauvre peuple, l’étude patiente de ses bons et de ses mauvais instincts, le désir d’être utile, le désir ardent de remuer les cœurs et d’y faire lever les germes sacrés. Cette préoccupation est même bien plus ardente chez lui que chez Pestalozzi ou Hebel, car il est obligé de combattre des ennemis tout autrement redoutables. Il possède de plus un vif et audacieux sentiment de l’art, et c’est avec une sorte de gaieté vaillante, c’est avec l’allégresse d’un bon ouvrier qu’il se met au travail. Sans l’invasion de la démagogie hégélienne, il eût toujours été un écrivain ingénieux et habile ; il n’eût pas su peut-être ce que vaut le talent fécondé par une existence consacrée au bien. Si nous voulons apprécier la merveilleuse vigueur d’une telle