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entre la Rance maritime, la Manche et les marais de Dol, un quadrilatère irrégulier, élevé, sur la plus grande partie d’une étendue de 92,000 hectares, de 15 à 20 mètres au-dessus du niveau de la haute mer[1] ; il se rattache, par l’isthme étroit de Châteauneuf, aux schistes et aux granits qui constituent presque exclusivement le territoire de la Bretagne. Ces terrains d’ancienne formation décrivent, en regard de la baie du Mont-Saint-Michel, une courbe concave dont les extrémités servent, à Châteauricheux et à l’embouchure du Couesnon, de points d’appui à une digue de 29 kilomètres de long. Les marais de Dol sont compris entre cette digue et les terrains anciens qui les dominent comme une terrasse ; la forme de ces marais est celle d’un croissant, et l’étendue est de 11,220 hectares.

Quoique le dessèchement n’en soit pas encore parfait, ce territoire est le plus fertile de la Bretagne. Il abonde en fourrages, en grains, en légumes ; les arbres y plient sous le poids des fruits ; le tabac elle chanvre y réussissent à souhait ; il n’est pas de production appropriée au climat qui n’y prospérât. Il est, pour la culture et surtout pour le régime hydraulique, de plus d’un siècle en arrière des watteringues de Dunkerque ; mais la fécondité naturelle du sol compense largement cette infériorité. La rente de l’hectare cultivé n’est presque nulle part au-dessous de 100 fr. ; elle en atteint 180 dans les bonnes parties, et si le marais était percé de chemins, sillonné de canaux et de rigoles de desséchement et d’irrigation, comme le sont les watteringues, le produit brut en serait doublé. Malheureusement, le caractère breton se plie moins aisément que le caractère flamand aux règles salutaires de l’association ; ennemi de la nouveauté, son premier mouvement est toujours pour la négation, et il n’en revient qu’avec une lenteur dont se ressentira l’amélioration des marais de Dol.

Le temps n’est pas fort éloigné où la place de ces belles campagnes était tout entière livrée aux invasions diurnes de la mer. Aujourd’hui même, si les digues qui les défendent étaient rompues, les marées se précipiteraient en arrière, et toute l’alluvion disparaîtrait sous les eaux. Un long travail de la nature a devancé celui de l’homme dans la formation de ce territoire. Les corps pesans que soulèvent les flots agités se déposent, dès que le calme se fait, dans l’ordre déterminé par leurs masses. Ici, les premiers dépôts se sont rangés sous l’abri qu’offre contre les vents de nord-ouest la côte de Châteauricheux : ils consistent en écailles d’huîtres presque intactes et ont formé, sur la courbe où venaient expirer les lames amorties, un bourrelet de près de deux lieues

  1. Les détails qui suivent étant relatifs à des desséchemens, les cotes de nivellement y sont rapportées au niveau des plus hautes marées, c’est-à-dire à celui des inondations dont il s’agit de se défendre ; elles sont empruntées à un travail très soigné fait en 1199 par MM. Anfray et Gagelin, ingénieurs des ponts-et-chaussées.