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paierait avec usure à l’état les charges qu’il s’imposerait pour eux, et leurs conquêtes seraient autant de champs nouveaux ouverts aux ouvriers libres.

Si des doutes s’élevaient sur la possibilité d’employer avec sûreté les condamnés à de pareils travaux, il ne faudrait pour les dissiper que montrer le port d’Alger ou le canal de Marans à La Rochelle. Les condamnés militaires qui les ont exécutés ne sont pas des plus faciles à conduire, et la discipline n’est ni moins sévère ni moins bien observée dans leurs ateliers que dans ceux des prisons civiles. Il y a plus : l’état moral des esprits n’est dans aucun établissement pénitentiaire si satisfaisant que dans les premiers. C’est que le travail de la terre adoucit et fortifie l’homme ; la fatigue corporelle qui l’accompagne chasse les mauvaises pensées, et parmi les cœurs les plus dépravés il en est peu où ce genre d’occupation ne ranime quelque bon germe engourdi. Des entreprises au grand soleil, où chaque journée est un pas fait vers l’accomplissement d’une pensée d’utilité publique, excitent, même dans une population flétrie, d’autres sentimens que ne fait une participation machinale à la production d’un mouchoir ou d’un soulier. L’importance de l’œuvre commune, dont l’ensemble est saisi de tous, grandit aux yeux de chacun l’humilité du concours par lequel il y est associé ; on s’affectionne à la création à laquelle on prend part, et c’est une demi-réhabilitation qu’une expiation dans laquelle on apprend à bien mériter de son pays.

Il reste maintenant à chercher quel champ ouvrirait la baie du Mont-Saint-Michel à l’application d’un régime qui, grace à l’expérience qu’en a faite le département de la guerre, a le mérite de ne plus être une nouveauté. Les grèves du Mont-Saint-Michel, qui, pour employer une expression de Pline, n’appartiennent tout-à-fait ni à la terre, ni à la mer, sont adjacentes à un territoire d’une rare fertilité, qui conserve de sa condition passée le nom de marais de Dol. Ces marais ont été dans l’état où sont encore les grèves, et les grèves seront un jour dans l’état où nous voyons les marais. La perspective d’une si belle conquête a excité bien des ambitions, inspiré bien des projets. Seul entre tous, Vauban a su trouver dans la grandeur et la simplicité de ses conceptions les conditions d’un succès infaillible. La réalisation de son projet serait peut-être l’œuvre la plus féconde à laquelle pût s’appliquer en France le travail des condamnés[1].

Pour expliquer la transformation à laquelle se prêtent les grèves, il est nécessaire d’exposer à quels terrains elles se rattachent. Les combinaisons par lesquelles Vauban entendait en exhausser le niveau et les livrer à la culture sembleront ressortir d’elles-mêmes de la disposition naturelle des lieux.

Le terrain primitif sur lequel sont bâtis Cancale et Saint-Malo forme,

  1. Les maisons centrales sont au nombre de vingt-et-une. Elles ne reçoivent que des condamnés à treize mois et au-delà d’emprisonnement, et contiennent des places pour 13,040 hommes, 1,100 jeunes garçons, 3,610 femmes, 200 jeunes filles, En tout : 17,950 détenus des deux sexes.