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en français, en italien et en latin. Il célébrait tour à tour formosissima Laverna et la bellissima marchesa di Sevigni[1]. Il ne se serait pas donné la peine de composer, à l’honneur de leur esprit et de leurs charmes, des vers latins et italiens qu’elles n’eussent pas compris. Bien loin de là, l’une et l’autre écrivaient fort bien en italien[2]. Dans une correspondance inédite de Mme de La Fayette, que j’ai pu parcourir, j’ai rencontré plus d’une allusion au temps où elle faisait pour ainsi dire ses études sous Ménage[3]. La nature avait comblé Mme de Sévigné : elle lui avait donné une justesse et une solidité parfaite, avec un inépuisable enjouement et une vivacité étincelante. L’art, se joignant en elle au génie, en a fait l’incomparable épistolière qui a laissé à mille lieues derrière elle Balzac et Voiture, et que Voltaire lui-même n’a point surpassée. Elle a l’air de tout oser, comme une étourdie et une ignorante, et jamais dans ses traits les plus hardis elle ne passe la mesure, signe infaillible d’un art achevé. Remarquez encore que, si Mme de Sévigné a écrit admirablement, ç’a toujours été par rencontre, sachant bien, il est vrai, que ses lettres seraient montrées et circuleraient peut-être ; mais enfin elle n’a jamais mis d’enseigne : elle

  1. OEgidii Menagii poemata, etc. Il y a plus de vingt pièces françaises, latines et italiennes à Mme de La Fayette avant et après son mariage. Mme de Sévigné est un peu plus épargnée.
  2. Voyez le sonnet italien de Mme de Sévigné publié par M. de Montmerqué.
  3. Cette correspondance a été vendue à Sens, en 1849, à la vente de M. Tarbé. J’ai pu l’examiner quelques heures. Elle se compose d’environ cent soixante-seize lettres toutes inédites, et parcourt presque toute la vie de Mme de La Fayette. On y voit que Ménage se prenait de passion pour ses belles écolières. Rebuté et découragé assez vite par Marie de Chantal, il se tourna vers la parente de celle-ci, Mlle de Lavergne, sans être plus heureux, mais sans être traité avec autant de négligence. Le commerce de Ménage avec Mlle de Lavergne dura même pendant qu’elle fut mariée au comte de La Fayette, il s’anima depuis son veuvage, et avec des vicissitudes de vivacité et de langueur il subsista jusqu’à sa mort. Évidemment Mme de La Fayette coquetta un peu avec son maître de latin et d’italien, et pendant quelque temps les relations sont assez intimes sans être tendres. Sur la fin, c’est une bonne et parfaite amitié. Plusieurs lettres montrent avec quel soin Mme de La Fayette avait étudié sous Ménage les poètes et les bons écrivains, anciens et modernes. Elle le consulte, et elle lui rappelle leurs discussions sur l’emploi de telle ou telle expression. Il est sans cesse question de leur ami commun, Huet, qui écrivit pour Zaïde une dissertation sur l’origine du roman. Quelques lignes sur Segrais. Je ne me souviens pas d’avoir rencontré une seule fois le nom de La Rochefoucauld. C’était là probablement la partie délicate et réservée, sur laquelle la belle dame ne consultait guère ses savans amis, et dont elle n’aurait pas laissé approcher la conversation. Ce qu’il y avait entre M. le duc et Mme la comtesse ne regardait pas l’abbé Huet et l’abbé Ménage. Il fallait être la marquise de Sévigné ou la marquise de Sablé pour se permettre un mot sur un pareil sujet. D’ailleurs nous n’avons ici que les lettres ou plutôt les billets de Mme de La Fayette ; il n’y en a pas un seul de Ménage. La plupart sont autographes, quelques-uns dictés et signés, tous parfaitement authentiques. M. Tarbé avait fait de cette correspondance une copie qui s’est vendue avec les autographes. Le tout appartient aujourd’hui à M. Feuillet.