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ses charmes, parce qu’elle avoit, si l’on peut le dire, des réveils lumineux et surprenans. » Mme de Motteville parle ici comme le cardinal de Retz : « Cette princesse… étoit fort paresseuse (t. III, p. 59). » Ailleurs : « L’occupation que donnent les applaudissemens du grand monde, qui d’ordinaire regarde avec trop d’admiration les belles qualités des personnes de cette naissance, avoit ôté le loisir à Mme de Lon.gueville de lire, et de donner à son esprit une connoissance assez étendue pour la pouvoir dire savante (t. II, p. 48). » Elle ne l’était pas le moins du monde et ne se piquait point de l’être. Tandis que ses deux frères, le prince de Condé et le prince de Conti, faisaient de fortes études aux jésuites de Bourges et de Paris, Mlle de Bourbon n’avait reçu sous les yeux de sa mère que l’instruction légère qu’on donnait alors aux femmes. Un heureux naturel et le commerce de la société d’élite où elle vivait suppléèrent à tout ; elle eut même de bonne heure une grande réputation, et, presque enfant, je la trouve environnée d’hommages et même de dédicaces. J’ai là entre les mains une tragicomédie pastorale, intitulée Uranie[1], qu’un nommé Bridard lui dédia en 1631, c’est-à-dire lorsqu’elle avait douze ans. Ce Bridard lui dit « Les plus parfaits courtisans savent que vous avez un esprit qui prévient votre âge. De moi j’en puis témoigner, vous ayant ouïe réciter des vers avec tant de grace, que l’on doutoit si un ange, empruntant votre beauté, ne venoit point discourir en terre des merveilles du ciel. » Je tire cette phrase de ce livre oublié et digne de l’être, parce qu’elle devance toutes celles de Mme de Motteville, de Mlle de Montpensier et de Mlle de Vandy. Voilà déjà l’ange à douze ans, et pour toujours. Dès sa première jeunesse, on l’avait menée avec son frère, encore duc d’Enghien, à l’hôtel de Rambouillet, et les salons de la rue Saint-Thomas Au Louvre n’étaient pas une trop bonne école à un esprit tel que le sien, où se mêlaient presque également la grandeur et la finesse, mais une grandeur tirant un peu au romanesque, et une finesse dégénérant souvent en subtilité, comme au reste dans Corneille lui-même, le parfait représentant de cette époque. Il ne paraît pourtant pas que l’hôtel de Rambouillet lui ait imposé ses préjugés et ses admirations, car un jour qu’on lui lisait la Pucelle de Chapelain, si prônée en ce quartier, et qu’on lui en faisait remarquer les prétendues beautés : « Oui, dit-elle[2], cela est fort beau, mais cela est bien ennuyeux ! » à peu près comme son frère, le grand Condé, prenait la défense de Corneille contre les règles, et s’écriait qu’il ne pardonnait pas aux règles de faire faire à l’abbé d’Aubignac d’aussi mauvaises tragédies. On la proclamait de toutes parts le juge souverain de tous les écrits, la reine du bel esprit,

  1. In-12. Nous possédons l’exemplaire de dédicace qui a été entre les mains de Mlle de Bourbon et porte ses armes.
  2. Villefore, p. 75.