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pas beaucoup de cet anathème jeté par les radicaux sur le suffrage restreint de la loi du 31 mai ; que la révision se fasse ou ne se fasse pas, c’est avec cette loi-là qu’on votera en 1852, et qui ne voudra pas voter avec elle sera bien le maître alors de ne pas voter du tout : il ne le sera pas, s’il plaît à Dieu, de voter malgré la loi. Ce qui nous intéresse donc dans cette conjuration latente, c’est particulièrement l’unité de conduite qu’elle révèle.

Il n’y a pas seulement unité, il y a perpétuité d’inspirations anti-sociales. On a saisi l’autre jour un douzième bulletin du comité de résistance ; il était écrit dans le style des précédens, dans le style des affiches de 1848, dans le style du Père Duchêne de 93. On a saisi un projet d’organisation politique pour le lendemain d’une victoire : il n’y avait pas un mot, pas un article qui n’y eût été transmis de programme en programme par toute une filiation de sociétés secrètes, et qui ne remontât ainsi jusqu’aux premiers fauteurs de séditions à qui vint l’idée d’une force du peuple. On voit que tout cela s’imprime le fusil sous la main ; le fusil est toujours l’outil de rigueur dans ces misérables ateliers d’émeutes. « Nous bourrerons nos fusils, » s’écrient en guise de péroraison les auteurs du douzième bulletin. « Citoyens, à nos fusils ! » disait-on pour en finir au club des brigadiers des ateliers nationaux après avoir décidé à pile ou face l’insurrection de juin. — « Il faut anéantir le dernier bourgeois, il faut brûler le grand livre de la dette publique, » annonçait froidement au club Bonne-Nouvelle un orateur qui a depuis transporté ses pénates en meilleure compagnie. Le comité de résistance en est en 1851 juste au même point que le club Bonne-Nouvelle en 1848 : « Tous les individus ayant trempé dans les intrigues des monarchies précédentes, ayant contribué à opprimer le peuple, sont à jamais privés de leurs droits civiques. — La liste en sera dressée dans chaque département par la société populaire. — Les plus compromis et les plus scélérats d’entre les ennemis du peuple qui auront échappé à la justice populaire seront bannis et dépouillés de leurs biens. — La liste en sera dressée par le peuple encore en armes, assemblé sur la place de la Révolution. — Des contributions forcées seront levées sur les riches pour faire face aux dépenses publiques, en attendant l’organisation d’un impôt national et démocratique. » - Ce n’est pas Robespierre, c’est Marat qui débite cette litanie furieuse ; non, ce n’est ni Robespierre, ni Marat, ni son ombre, c’est, qu’en sait-on ? le premier passant qui vous a coudoyé tout à l’heure sur le pavé de la bonne ville de Paris. Et pourtant je ne m’étonne pas encore beaucoup de cette constance des traditions démagogiques ; l’ivraie de ces méchantes colères repousse et se ressème de graine, il faut en prendre son parti ; notre société porte dans ses flancs des artisans de guerres inexpiables dont elle n’aura plus raison qu’au jour le jour et avec beaucoup de force mêlée de beaucoup de sagesse. On se résignerait encore à cette obligation d’incessante vigilance ; à quoi l’on ne se résigne pas, c’est à voir des hommes honnêtes, éclairés, généreux même, fermer les yeux sur ces secrètes horreurs, dans l’opiniâtreté de leurs fausses visées politiques, et tendre eux-mêmes à l’ennemi commun les armes qu’il tournerait d’abord contre eux. Lisez plutôt au prospectus du comité de résistance l’article des « républicains sans vigueur ! »

Espérons jusqu’à la fin que tout ce qu’il y a de loyal et de sensé dans ce malheureux pays ne voudra pas s’épuiser en discordes fratricides pour laisser prendre le dessus à tout ce qu’il a de fous ou de furieux. Il n’est guère de parti