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ils tournaient en grands dieux, soit, mais ne me parlez pas des petits ; la pire engeance qu’il y ait dans l’Olympe représentatif, ce sont encore les dii minores. D’abord il y en a partout : le socialisme, l’orléanisme, le légitimisme, chaque opinion possède les siens, et s’ils sont nés des schismes intérieurs de chaque opinion, ils ont bien ensuite contribué à les élargir et à les accroître. C’est là surtout ce que nous déplorons lorsque nous avons sous les yeux le pitoyable état du camp conservateur ; c’est à l’émulation jalouse, c’est à l’activité trop souvent malfaisante des génies médiocres que nous attribuons pour une bonne part le fractionnement qui le dissout. C’est pour cela que nous sommes de temps en temps plus sévères à leur endroit que nous ne voudrions l’être envers des hommes qui tiennent notre drapeau.

Désirez-vous apprendre ce que c’est, au contraire, qu’une organisation vigoureuse ? Cherchez parmi les radicaux. Leur libéralisme est, il est vrai, toujours et en tout d’aimer à vivre sous une consigne dans l’espoir de la donner chacun à son tour ; mais qu’ils la donnent et qu’ils la reçoivent bien ! Voyez M. Lagrange : il devait ouvrir le feu sur la révision ; il avait emporté d’assaut son numéro d’ordre. Des amis prudens se méfient de son tempérament trop généreux. On lui demande, sans plus de cérémonie, son tour de parole ; comme il y tient beaucoup, il les refuse d’abord quand on l’en prie, il le cède quand on l’exige. C’est, dans la rue, aussi bien réglé que dans le parlement : la consigne gouverne avec le même empire les officines des conspirations et les conférences intimes des bureaux. Il n’y a pas là de nuances, de modifications progressives ; ils sont toujours les mêmes : nous le disions déjà par allusion à divers incidens de la dernière quinzaine ; nous avons encore à le répéter au sujet de celle-ci.

Nous n’affirmerions pas que les voyages du président de la république ne perdent un peu de leur effet en se multipliant, et qu’il reste, somme toute, un bénéfice, politique ou moral, à varier, — quelque habileté qu’on mette aux variations, — les thèmes qu’on ne peut pas changer. Le discours de Poitiers a radouci celui de Dijon ; le discours de Beauvais a répondu heureusement au sincère enthousiasme d’une population paisible. Nous comprendrions néanmoins que le président ne fût point fâché de se reposer : des intervalles de silence ne gâtent rien en politique. Un résultat qu’on ne disputera pas du moins à ces pérégrinations officielles, c’est de mettre en évidence l’uniforme et régulière tactique du parti rouge. On le retrouve à Châtellerault tel qu’on l’a vu à Dijon, à Besançon, l’injure à la bouche et la menace en permanence, manoeuvrant pour faire nombre et comprimant les masses, lorsqu’il ne les possède pas. Les élections qui ont eu lieu dans Seine-et-Marne, dans la Haute-Vienne, dans la Dordogne, ont encore bien montré l’obéissance rendue si fidèlement partout au même commandement dans le concours simultané des abstentions systématiques. Il est vrai que le commandement du radicalisme a paru d’autant mieux exécuté, que le nombre de ceux qui, par obéissance, s’abstenaient de voter s’est grossi de ceux qui, par égoïsme ou par paresse, oubliaient ou abdiquaient aussi leur droit de suffrage, — de ces amis de l’ordre qui veulent qu’on leur en fasse sans avoir la peine de s’en mêler ; — de ces légitimistes, plus absurdes que les émigrés de Coblentz, qui, à Limoges, ne sont point allés au scrutin et se sont retirés à l’instar des radicaux, sous prétexte qu’ils n’avaient point eu la place qu’on leur devait dans les comités préparatoires. Nous ne nous effrayons