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C’étaient en partie les mauvais conseils qui l’avaient égarée ; elle n’était qu’une petite fille. « Ah ! folle, folle que j’étais ! et j’ai fait de moi une reine « de parade ! »

« La voix lui manqua, et son front retomba dans ses mains, et son grand cœur repassa les fautes de son passé avec une douleur silencieuse que je n’osai pas interrompre. La nuit régnait au dehors, et elle était encore immobile, lorsque, du milieu des acacias, une voix commença à bégayer l’approche du jour : c’était un oiseau qui s’éveillait pour donner la becquée à ses petits, et dont la gorge humide de rosée appelait la lumière. Elle fit un mouvement, et le volume roula à ses pieds.

« — Ne blâme pas trop ton passé, lui dis-je, ne blâme pas trop les fils des hommes et leurs lois barbares ; elles ont été les erreurs d’un monde encore grossier. À l’avenir, tu auras un compagnon pour t’aider dans ta tâche : tu le trouveras en moi, qui sais que la cause de la femme est celle de l’homme. Ensemble ils s’élèvent ou s’avilissent. Celle qui sort du Léthé pour gravir avec l’homme les degrés resplendissans de la nature partage avec l’homme ses jours et ses nuits ; avec lui, elle marche à une même destinée. C’est elle qui forme dans sa main la jeune planète ; si elle est de nature petite et mesquine, comment les hommes pourraient-ils grandir ? Mais renonce à travailler seule. Notre position est beaucoup. Autant qu’il est en nous, nous travaillerons à deux, pour le frère comme pour la saur, en travaillant pour elle, en l’aidant à se dégager des végétations parasites qui semblent la soutenir, et qui ne font que la courber vers la terre. Nous tâcherons de lui faire du large, pour que tous les germes que Dieu a mis en elle puissent s’épanouir, pour qu’elle s’appartienne à elle-même en pleine propriété, maîtresse de se donner ou de se refuser, de vivre, d’apprendre et d’être tout ce qu’elle peut être et devenir, sans sortir de sa nature de femme ; car la femme n’est pas un homme ébauché, mais un être différent : si nous la rendions semblable à l’homme, il faudrait voir mourir l’amour et ses suavités. Son harmonie n’est pas un même son répété, elle est l’accord de deux sons qui se ressemblent sans se confondre. Avec le temps cependant et de longues années, le compagnon et la compagne sont destinés à se rapprocher de plus en plus. Lui, il croîtra en douceur et en élévation morale sans perdre les muscles qui se tendent pour lutter : de son côté, elle acquerra plus d’ampleur d’intelligence, sans perdre ses instincts de mère, sans que la pensée étouffe en elle les graces enfantines. Homme et femme toujours, ils iront toujours s’unissant davantage jusqu’à ce qu’enfin elle s’adapte à lui comme une musique parfaite à de nobles paroles. C’est ainsi que, côte à côte, je les vois à l’horizon du temps, assis comme deux jumeaux dans la splendeur de leurs facultés, recueillant la moisson du passé et semant l’avenir, distincts dans leur individualité, se vénérant l’un l’autre, et se respectant eux-mêmes. Puissent ces espérances se réaliser !

« Elle répondit en soupirant : « J’ai bien peur qu’elles ne se réalisent pas. »

« — A nous au moins de les symboliser dans notre propre vie, et que pour nous périsse cet orgueilleux mot d’égalité, puisqu’à lui seul chaque sexe n’est qu’à moitié lui-même, et que, dans toute véritable union, il n’y a plus d’égal ni de supérieur : l’un apporte ce qui manque à l’autre, et tous deux, enveloppés l’un dans l’autre, pensant et voulant l’un dans l’autre, ils produisent à deux