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natal, et l’on y chercherait vainement quelque trace du génie germanique et de ses rudes élans ; la muse des scaldes s’est trop bien disciplinée sous la férule des rhéteurs latins.

À l’époque même où Aëtius devenait ainsi de fait le maître de l’empire, la fière Visigothe femme du nouveau patrice mit au monde un second fils, qui fut appelé Gaudentius, comme son aïeul paternel ; l’aîné, déjà grand, portait le nom gothique de son aïeul maternel, Carpilio. Le nouveau-né vit le jour au Quirinal, sinon sur la pourpre, du moins bien près d’elle, et Mérobaude célébra en vers hendécasyllabes la bienvenue de cet enfant que le sort destinait à être un jour l’esclave d’un pirate vandale. Le poète décrit son baptême en des termes qui ont fait douter à la critique si Mérobaude était lui-même chrétien, tant la cérémonie qu’il croit peindre ressemble dans ses vers à une ablution païenne. Il nous montre ensuite la déesse Rome s’emparant de l’enfant, au sortir des fonts baptismaux, et rejetant sur son épaule sa casaque de guerre pour lui offrir sa mamelle nue. La place d’honneur, dans ce panégyrique, appartenait, on le comprend, à la mère de Gaudentius ; mais comment la célébrer dignement ? Le poète feint de reculer devant cette tâche impossible : « Non, s’écrie-t-il avec un luxe d’allusions mythologiques qui ne laisse pas de surprendre un peu quand on songe à ce qu’étaient l’héroïne et le poète ; non, de légères et frivoles muses ne sauraient jamais chanter une pareille épouse, race des héros, fille des rois, femme dont la gloire est plus que d’une femme[1] ! Ce n’est point elle qu’on aurait vue, en proie, comme Thétis, à de pusillanimes frayeurs, aller furtivement tremper son nouveau-né dans l’onde souterraine du Styx, pour éluder les arrêts du destin. Elle sait que le fils d’Aëtius, mortel, ne craindra pas la mort ; il apprendra de son père à la braver en la donnant. »

Cependant Aëtius tâchait de légitimer par des services éclatans cette haute fortune où l’audace et la violence l’avaient conduit. Il reprit en Gaule ses travaux interrompus, et cette vaste province, qui s’en allait en lambeaux, reçut de lui sa reconstitution, au moins momentanée. En 425 et 430, il avait repoussé les Visigoths, qui, à chaque perturbation politique, sortaient de leurs cantonnemens pour aller attaquer Arles ou Narbonne ; à partir de 436, il porta la guerre au sein même de leurs quartiers et les amena à demander merci. Il en fit de même avec les fédérés burgondes, qui, franchissant le Jura, dans cette même

  1. Conjunx non levibus canenda musis,
    Heroum soboles, propago regum,
    Cujus gloria foeminam superstat… (Merob. caret.)
    Il est curieux de voir les barbares se distribuer ainsi l’encens romain au Capitole et les Romains applaudir. Il y a dans ce fragment une lacune que j’ai essayé de remplir par la dernière phrase de ma traduction.