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carquois à ses petites épaules, et oubliant, dans ces jeux de la guerre, qu’il instruisait un Romain. » Après trois ans passés chez les Goths, Aëtius fat envoyé, en la même qualité d’otage, chez les Huns, qui habitaient, ainsi que je l’ai dit, les contrées situées au nord du Danube. Visiter les barbares, se mêler un peu à leur vie, c’était la meilleure école pour un Romain qui se destinait au métier des armes ; en étudiant des peuples chez qui Rome trouvait à la fois ses défenseurs et ses ennemis, on apprenait à connaître l’élément fatal qui recélait dans son sein le salut ou la ruine du monde. Sous la tente de Roua, le plus important des rois huns, l’élève d’Alaric devint le camarade d’Attila. Il savait déjà la guerre germanique, la guerre d’infanterie pesante comme la faisaient les Goths ; il apprit la guerre des nomades d’Asie, l’art de soulever ou d’abattre ces tempêtes de peuples devant lesquelles les Goths eux-mêmes avaient fui. Ce fut peut-être alors qu’il conçut le plan réalisé plus tard par son génie d’employer au service de Rome les Huns contre les Germains et les Germains contre les Huns, d’opposer la barbarie asiatique à la barbarie européenne et de les user l’une par l’autre.

Cette adolescence active et aventureuse fit d’Aëtius un soldat accompli en même temps qu’un excellent général. Personne ne l’égalait dans le maniement de ces armes variées que l’introduction d’auxiliaires de toute race avait pour ainsi dire naturalisées sous le drapeau romain. Petit de taille, mais souple et nerveux, il aimait à faire montre de force et d’agilité, et on ne le trouvait pas moins redoutable dans une mêlée la lance ou la hache à la main qu’au front de ses troupes réglant avec calme les mouvemens d’une bataille. On l’eût dit le chef naturel de chacune de ces bandes dont l’agglomération bigarrée formait, au Ve siècle, une armée romaine ; à la tête des légions, on le comparait aux Romains des vieux temps ; à la tête des auxiliaires germains, c’était un lieutenant d’Alaric, et lorsque, dans une charge impétueuse, il enlevait à sa suite les mobiles escadrons de l’Asie, on l’eût pris pour un chef nomade venu du désert. Ce grand soldat n’était cependant point un bon citoyen. Quoique désintéressé dans son administration et juste envers ses inférieurs, il portait dans ses actes politiques un détestable esprit de duplicité. Tout lui était bon pour parvenir, tout lui semblait légitime pour abattre un rival, et ce qu’il estimait surtout dans l’auxiliaire étranger, c’était l’instrument à double fin au moyen duquel on tenait en respect le gouvernement romain, tout en le servant bien. Par un calcul d’ambition qui dénotait l’importance croissante des barbares, tandis que son père avait recherché en mariage une Italienne, il rechercha une barbare ; il demanda et obtint une jeune Gothe de lignée royale, dont le père avait occupé de grandes charges à la cour, mais qui, restée barbare sous la stola des matrones, croyait déroger en