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pas à séparer, tant leur rage est aveugle et leur soif de sang insatiable : on n’aura qu’une faible idée du spectacle que présenta bientôt l’Espagne. Les Visigoths d’un côté, de l’autre les confédérés suèves, alains et vandales, afin d’être moins gênés dans leurs projets de guerre, demandèrent comme une grace aux Romains de conserver entre eux la neutralité. Honorius, à sa grande stupéfaction, reçut des rois alano-vandales une lettre ainsi conçue : « Garde-nous la paix, prends nos otages et laisse-nous nous battre comme il nous convient, sans t’en mêler. Si nous sommes vaincus, nous qui t’écrivons, tant mieux pour toi ; si nous sommes vainqueurs, tant mieux encore, car nous nous serons affaiblis par notre victoire et nous aurons détruit ton ennemi, qui est aussi le nôtre. Est-il rien de plus désirable pour ton empire que de nous voir nous exterminer les uns les autres ? » Nous rejetterions une pareille lettre comme peu croyable, si elle ne nous était donnée par un auteur contemporain ordinairement bien informé, l’historien Paul Orose, qui s’en émerveille lui-même en y voyant un signe de l’aveuglement providentiel des barbares et de la protection de Dieu sur l’empire. Vallia, pendant ce temps-là, réclamait avec des formes moins sauvages l’honneur de servir César et de balayer à lui seul ces brigands qui osaient occuper une province romaine. Honorius les laissa faire comme il leur plut, et ils firent si bien qu’à la fin de l’année 418 les Vandales-Silinges étaient presque anéantis, les Vandales-Astinges en partie dispersés dans les chaînes intérieures de l’Espagne, en partie retranchés avec les Suèves dans la Galice, et les Alains si rudement châtiés, que leur domination avait disparu de l’Espagne pour toujours.

Quand le terrain fut suffisamment déblayé, les Romains arrivèrent, et l’empereur fit inviter les Visigoths à lui remettre Barcelone, qui était leur place d’armes depuis quatre ans, et à évacuer l’Espagne pour aller reprendre en Gaule les anciens cantonnemens d’Ataülf, c’est-à-dire la première Aquitaine avec la Novempopulanie, et Toulouse détachée de la province Narbonnaise. Rome trouvait son compte à cet échange, attendu que laisser les Visigoths au midi des Pyrénées, c’était évidemment y laisser des maîtres dont rien ne pourrait plus affranchir l’Espagne, tandis que, placé en Aquitaine sous l’œil du préfet du prétoire, qui résidait à Arles, et sous l’épée des légions, ce peuple serait plus facilement contenu, plus promptement façonné à la sujétion, et mieux utilisé pour le service de l’empire. Quant aux Visigoths, ils paraissent avoir échangé sans regret des ruines toutes fraîches et un pays épuisé pour un autre qu’ils n’avaient quitté que malgré eux, et dont peut-être la riante image les avait suivis par-delà les monts. En effet, les provinces méridionales des Gaules jouissaient alors d’un grand renom