Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’abandonner à la puissance supérieure de l’esprit divin, se trouve la région des luttes, du trouble et de l’inquiétude.

Si l’on se rappelle que l’auteur de cette théorie ne possédait pas dans des croyances religieuses précises une règle invariable propre à le préserver des excès de sa propre pensée, on comprendra facilement qu’il pût tomber par momens dans les abus d’un mysticisme intempérant. Aussi lui arrive-t-il quelquefois de sacrifier cette liberté humaine qu’il avait si hautement défendue à cette vue exagérée et fausse de la doctrine de la grace, dont il avait fait jadis une objection contre le christianisme. Il lui arrive de présenter comme « le plus haut degré où puisse atteindre l’ame humaine » l’état où, absorbée en Dieu, « elle perd même le sentiment de son moi avec sa liberté. » Cette tendance se fait jour plus d’une fois dans les fragmens de la dernière période. Ce n’est pas là cependant le point de vue habituel de Maine de Biran. Le plus souvent il reconnaît que l’homme et Dieu concourent, dans une union mystérieuse, à la délivrance de l’ame ; il constate que l’effort et la prière, qui est encore un effort, sont les conditions imposées à celui qui aspire à la vie de l’esprit. Il sait que Dieu se découvre à ceux qui le cherchent, qu’il nous faut tendre à la foi par la pratique de la volonté divine, et appeler la grace par la pureté de la vie. S’il reproche aux stoïciens d’attribuer à la volonté une puissance qu’elle n’a pas, et de placer dans la deuxième vie, siège d’un trouble continuel, une paix imaginaire, — d’un autre côté, réagissant contre une tendance à laquelle il cède quelquefois, on le voit reprocher au quiétisme de supprimer l’homme même en faisant abstraction de la force libre et personnelle qui le constitue. Il n’aurait pas été difficile d’obtenir de M. de Biran le désaveu de quelques passages dans lesquels il fait trop bon marché de la personnalité humaine. En complétant sa pensée, il aurait reconnu sans doute que l’action de Dieu sur les ames a pour but, non de détruire, mais de relever au contraire l’existence de la créature. Le plus haut degré auquel nous puissions atteindre n’est pas un état où la volonté cesse d’être, ainsi que le veulent les partisans de l’extase, mais un état où la volonté, restaurée par la grace divine, affranchie du joug des passions, dans la plénitude de sa liberté reconquise, renonce à se donner des lois à elle-même pour se soumettre sans restriction aux décrets de la sagesse éternelle. C’est dans ce sens certainement que se fût expliqué M. de Biran, s’il eût eu le temps de revoir les ébauches de la dernière époque de sa vie.

On peut maintenant se faire une idée générale du cadre des Nouveaux Essais d’anthropologie. Prendre l’homme à son point de départ, à cette période de l’enfance où quelques symptômes, gages de l’avenir, le distinguent seuls de l’animal ; observer l’éveil de la conscience et