Bonald. Il traçait alors une ligne de démarcation très prononcée entre des vérités qui procèdent du dehors et s’imposent par voie d’autorité - et une science personnelle qui résulte avant tout des expériences que chacun peut faire en dedans de soi-même. C’était séparer la religion et la philosophie au point de vue de la méthode, et c’est ainsi que l’on procède d’ordinaire ; mais cette distinction, si nette en apparence, n’a point la valeur qu’un examen superficiel peut lui faire accorder. Que les dogmes chrétiens, en effet, soient enseignés du dehors à l’individu, et s’imposent avec autorité à l’adhésion de son esprit dès le moment qu’il croit à leur origine, — c’est ce qui ne fait pas et ne peut pas faire question ; mais ces dogmes répondent à des nécessités du cœur et de la conscience qu’ils viennent satisfaire, nécessités qui se laissent observer directement, et de plus, ils produisent dans l’ame qui les accepte des effets immédiatement observables aussi. Se refuser à l’examen des faits de cet ordre, ce serait suivre une voie analogue à celle d’un philosophe qui prétendrait étudier l’esprit humain dans sa pureté absolue, sans faire mention d’aucun des phénomènes qui résultent de ses rapports avec des existences étrangères. Une telle étude cependant ne pouvait être qu’une vaine et stérile abstraction. Pour étudier l’homme, il faut bien le considérer au moins dans ses relations avec le monde matériel qui l’environne. On note avec soin l’impression que les corps produisent sur lui, les sensations douces ou pénibles qu’ils lui envoient ; mais, si les vérités religieuses produisent dans son ame des effets particuliers, s’il est placé par les conséquences de sa foi dans des états spéciaux, comment ne pas en faire mention ? Si l’homme trouve dans les promesses évangéliques des consolations qu’il ne rencontre pas ailleurs, s’il reçoit dans la prière une force qui lui faisait défaut, une science de l’homme qui passerait sous silence les faits de cet ordre ne serait-elle pas étrangement mutilée ? Ce serait une pauvre philosophie, en vérité, que celle qui se condamnerait à garder le silence sur les développemens les plus élevés de la vie humaine par le motif que ces développemens se rattachent à des vérités que la raison toute seule n’a pas découvertes.
Maine de Biran, conduit par des considérations de cette nature, fut amené à négliger la distinction reçue entre la religion et la philosophie pour ne laisser subsister qu’une science unique, celle de la réalité telle qu’elle est, science qui n’est pas le domaine spécial du philosophe ou du croyant, mais le domaine de l’homme, de l’homme qui reste le même, soit qu’il raisonne, soit qu’il croie. Il dut, par suite, modifier assez profondément l’exposition antérieure de ses doctrines. L’Essai sur les fondemens de la psychologie était demeuré en manuscrit dans son portefeuille depuis 1843. Souvent il l’avait retouché, mais un désir continuel d’amélioration et les préoccupations de sa carrière politique