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s’y abandonnant, et auxquels on s’abandonne peut-être d’autant plus facilement qu’on éprouve quelque plaisir à les juger. D’ailleurs, s’observer sans cesse, même pour se condamner, c’est encore se faire le propre centre de ses pensées, c’est encore une manière de s’occuper de soi et de se complaire en soi. L’analyse de son propre cœur peut donc être nécessaire pour amener une crise à un moment donné, pour éclairer l’homme sur son état moral, le détourner de la poursuite de biens trompeurs et lui faire sentir le besoin du secours divin ; mais, si elle continue à prédominer, si elle devient le fond de la vie intérieure, elle détourne cette vie de sa direction légitime, elle retient l’ame captive en elle-même, elle la maintient dans la région de l’inquiétude et du trouble, l’empêchant de trouver son repos dans un abandon filial à la volonté de Dieu. Maine de Biran avait trouvé dans la lecture de Fénelon, l’un de ses auteurs favoris, l’expression réitérée de ces vérités ; mais il s’était instruit surtout à cet égard par les difficultés qu’opposaient à son avancement spirituel ses habitudes méditatives. Aussi, après avoir écrit en 1795 : « Je crois que le seul qui soit sur la route de la sagesse ou du bonheur, c’est celui qui, sans cesse occupé de l’analyse de ses affections, n’a presque pas un sentiment, pas une pensée dont il ne se rende compte à lui-même ; » en 1821, après une expérience de vingt-six années, il trace les lignes suivantes : « L’habitude de s’occuper spéculativement de ce qui se passe en soi-même, en mal comme en bien, serait-elle donc immorale ? Je le crains, d’après mon expérience. Il faut se donner un but, un point d’appui hors de soi et plus haut que soi, pour pouvoir réagir avec succès sur ses propres modifications. »

Au travers de tant d’obstacles, l’idéal chrétien apparaît de plus en plus nettement à son esprit. Si on ne rencontre pas, il est vrai, dans le Journal, à l’égard des vérités chrétiennes, l’expression d’une conviction proprement dite, les aspirations, les désirs, les vues qui se dirigent de ce côté y abondent et se multiplient à mesure que le temps avance ; le mouvement est visible, et on ne peut en méconnaître la direction. Le besoin d’appui était devenu chez M. de Biran le besoin de la grace, et le besoin de la grace avait naturellement dirigé ses regards vers celui qui en a fait la promesse. C’est là le trait caractéristique et tout-à-fait prédominant de son développement religieux. À cette vue fondamentale s’en joint une autre qui occupe le second rang. Jésus-Christ résume dans sa personne tous les traits de l’existence supérieure, de la vie divine à laquelle nous pouvons aspirer. Celui qui a fait la promesse de l’Esprit saint est en même temps, dans sa vie et dans sa mort, le type accompli de l’idéal qui convient à l’homme dans les conditions de son existence ici-bas. Ces deux élémens, les secours promis, l’idéal réalisé, sont à peu près les seuls que Maine de Biran