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Le bonheur que le séjour de la capitale lui refuse, c’est dans la retraite qu’il le place, dans la retraite qu’il a aimée dès sa jeunesse, et qui lui réserve, pense-t-il, des jours de paix et de tranquillité pour le soir de sa vie.

L’automne arrive avec ses loisirs. Libre de quitter Paris, il se hâte de partir ; il arrive chez lui, il retrouve sa famille et les souvenirs de ses premières années. La suspension des affaires publiques lui permet de goûter tous les charmes de cette vie retirée qu’il ambitionne. Son cabinet de travail, ses livres, ses manuscrits sont à sa disposition. Hélas ! de nouveaux mécomptes l’attendent : la solitude est monotone pour qui a connu une vie animée. Le foyer domestique fatigue quelquefois par sa tranquillité même ; le travail de l’esprit procure de douces et nobles joies, mais il est difficile de s’y adonner avec la persévérance nécessaire. On s’agite lors même qu’on est seul avec ses idées ; on erre dans une bibliothèque comme dans les rues d’une cité ; on se dissipe avec les livres aussi bien qu’avec les hommes. Pour être douce, l’étude doit être paisible, et on ne réussit pas toujours à lui donner ce caractère. Toute disposition n’est pas également propre au travail ; il est des heures, des jours où l’esprit, inactif malgré tous les efforts, retombe sur lui-même et s’affaisse dans une désolante langueur ; l’étude d’ailleurs donne-t-elle ce qu’elle semble promettre ? Si le voile qui couvre la vérité semble se lever un instant, ne le voit-on pas souvent retomber ensuite plus lourd et plus sombre qu’auparavant ? La retraite et le travail, pas plus que les agitations de la vie sociale, ne sauraient donner le bonheur. Les affections les plus douces laissent des intervalles vides dans le cœur ; les labeurs de l’esprit offrent des jouissances éphémères et souvent trompeuses : il n’y a point là de bases fixes, de mobile permanent, de point d’appui qui mettent l’ame en repos.

Telles sont les plaintes nouvelles du solitaire, qui succèdent à celles de l’habitant de la capitale. Toutefois, si à Paris M. de Biran continue à désirer la solitude, — dans la solitude, tout en ne rencontrant pas ce qu’il cherchait, il ne désire pas la vie du monde : il reconnaît, avec une netteté toujours plus vive, que nous demanderions en vain le repos aux circonstances du dehors, quelle que soit leur nature. Pour être heureux, il faut que la vie soit une, et la sienne se disperse et se dissipe. « Je n’ai pas de base, pas d’appui, pas de mobile constant : je souffre[1]. »

Je souffre ! telle est la parole qui revient sans cesse sous la plume de l’écrivain comme une sorte de refrain mélancolique. Il a vécu dans le monde, et le monde a laissé son ame vide ; il a désiré la solitude, et la solitude a trompé son attente. Sa volonté s’est trouvée faible lorsqu’il

  1. Journal intime, 1er mai 1817.