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les impressions diverses qu’il doit aux sens extérieurs et les appétits qui naissent du jeu des fonctions organiques, vous lui enlevez par là même toutes ses idées et toutes ses volontés. Tout ce qui est en lui est sensation pure ou sensation transformée ; considéré dans sa mesure propre, il n’est rien qu’une table rase, une simple capacité de sentir. Telle est la thèse que M. de Biran avait admise dans le Mémoire sur l’Habitude, et qu’il combat expressément dans ses écrits postérieurs. Fortement indiquée déjà dans le travail sur la Décomposition de la Pensée, sa lutte contre le sensualisme devient plus nette et plus ferme à mesure qu’il avance.

Aucun des écrits couronnés à Paris, à Berlin et à Copenhague ne fut livré à l’impression[1]. L’auteur avait reçu à cet égard les appels les plus flatteurs ; mais, avant de produire au grand jour de la publicité des doctrines qui étaient la réfutation des thèses qu’il avait soutenues lui-même dans un premier écrit, il voulait donner à l’exposition de ses pensées toute la perfection possible. Dans cette intention, il s’occupa à refondre et compléter ses diverses rédactions dans un travail d’ensemble. Cet ouvrage, demeuré inédit jusqu’à ce jour, contient la matière de deux volumes environ et a pour titre : Essai sur les fondemens de la psychologie et sur ses rapports avec l’étude de la nature. Pour se faire une idée équitable de la valeur de l’Essai, il faut savoir que c’est surtout dans la finesse et la profondeur des développemens que se manifestent les qualités les plus éminentes de l’esprit de Maine de Biran. À la doctrine qui débute en faisant de l’homme une simple capacité de sentir et conclut inévitablement en niant sa liberté, on ne pouvait opposer une doctrine plus contraire que celle qui fait de la liberté, non pas une thèse démontrée, mais un axiome enlevé à toute contestation. La liberté en effet n’est pas seulement pour Maine de Biran un fait de sens intime, c’est le fait de sens intime par excellence, puisque c’est la condition de la conscience que chacun a de soi. L’homme est libre par essence, puisqu’il n’est homme que par la volonté ; mais il est sollicité sans cesse de céder aux impulsions sensibles, d’abdiquer devant des forces étrangères : telle est la conséquence de sa double nature. Qu’il agisse donc, qu’il fasse effort, qu’il réalise, en triomphant de toutes les impulsions de la vie animale, cette indépendance souveraine à laquelle il est appelé, — et sa destinée sera accomplie. Tel est, s’il est permis de le dire, le mot d’ordre de M. de Biran dans la lutte contre l’école qui fut celle de sa jeunesse.

Ce mot d’ordre, il se l’était donné, il ne l’avait pas reçu. Son développement philosophique fut individuel et spontané au plus haut point.

  1. L’impression du mémoire sur la Décomposition de la Pensée avait été commencée, mais elle fut interrompue après le tirage de quelques feuilles.