attention sur les faits intérieurs dont l’ame est le théâtre : « Quand on a peu de vie ou un faible sentiment de vie, écrit-il, on est plus porté à observer les phénomènes intérieurs ; c’est la cause qui m’a rendu psychologue de si bonne heure[1]. » On serait d’autant moins fondé à révoquer en doute la justesse de cette observation, que Cabanis expliquait comme M. de Biran l’origine organique des succès de ce penseur dans l’étude de la psychologie : « La nature, lui écrit-il, vous a donné une organisation mobile et délicate, principe de ces impressions fines et multipliées qui brillent dans vos ouvrages, et l’habitude de la méditation, dont elles vous font un besoin, ajoute encore à cette excessive sensibilité[2]. »
Un savant qui oublie les faits pour construire une théorie peut se proposer d’expliquer l’homme tout entier par le jeu de la machine organisée ; il peut, suivant une voie contraire, perdre de vue dans un idéalisme abstrait le rôle très positif que joue la matière dans notre existence ; il peut enfin parler de l’ame et du corps comme de deux êtres simplement juxta-posés et presque sans relations entre eux. Un observateur attentif et de bonne foi arrivera à des conclusions bien différentes et reconnaîtra qu’il n’est peut-être pas un seul des modes de notre vie, si purement physique ou si uniquement moral qu’il puisse paraître au premier abord, qui ne soit le résultat de deux forces différentes, dont l’une procède de l’ame, et dont l’autre vient du corps. C’est une des gloires de M. de Biran d’avoir solidement établi cette vérité dans la science. En opposition aux vues exclusives du matérialisme et de l’idéalisme, il a déterminé avec une grande profondeur d’analyse la vraie nature du problème des rapports du physique et du moral de l’homme. Il a dû sans doute ses vues sur ce sujet à la patience de ses recherches et à une bonne méthode ; mais, on ne peut le méconnaître, ses recherches furent facilitées, sa méthode lui fut comme imposée par sa nature personnelle : une santé plus forte, une constitution plus énergique, auraient altéré peut-être son analyse de la nature humaine, et il le savait bien. M. de Biran nous apprend lui-même que sa curiosité philosophique s’éveilla presque au début de sa vie. « Dès l’enfance, dit-il, je me souviens que je m’étonnais de me sentir exister ; j’étais déjà porté, comme par instinct, à me regarder en dedans pour savoir comment je pouvais vivre et être moi[3]. » Cette question, si tôt posée par l’écolier de Périgueux, renfermait tout son avenir scientifique. Se regarder en dedans, se regarder passer, comme il le dit ailleurs, ce fut toujours le besoin le plus impérieux de sa nature intellectuelle.