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peuple anglais accepta la leçon, et il passe en baissant la tête devant ce stigmate si fièrement appliqué. Sommes-nous assez loin d’une dignité semblable, et un Français peut-il évoquer un pareil fait sans rougir pour son pays ? Il y a quelques mois, un autre incident s’est produit, qu’il est triste d’opposer aux scandales de nos assemblées. Depuis un temps immémorial, c’est l’usage à la chambre des lords d’ouvrir la séance par une courte prière, prononcée par un des évêques qui ont l’honneur de siéger dans cette enceinte. Un jour, le hasard voulut qu’aucun évêque ne se trouvât à son banc. Que fit la chambre ? Elle leva immédiatement et sans hésiter la séance. En France, on rirait bien haut d’un événement semblable, et pourtant c’est par ce respect absolu du passé qu’un pays conserve sa grandeur et sa pureté. Il en est des institutions comme des digues de la Hollande : à les laisser entamer, on risque de périr ; la moindre fissure peut donner passage au déluge. C’est précisément en face de cette puissance de conservation qu’on a le droit de s’étonner des fantaisies industrielles de la jeune Angleterre. Le royaume-uni ne doit pas se permettre d’être futile ; la plaisanterie lui sied mal. En entrant dans la gare de Douvres, dans ce bâtiment noir, sombre, sévère, vous pourrez remarquer au-dessus des portes deux petites statuettes de porcelaine, d’origine française évidemment, et représentant deux coryphées du bal Mabille. Rien n’est plus ridicule ; c’est un échantillon de la gaieté britannique quand elle prétend imiter nos ébats. Un soir que vous aurez du noir dans l’esprit et que vous serez en train de philosopher, allez au Vauxhall de Londres et regardez danser. Je ne connais rien de plus mélancolique qu’un Anglais en goguette.

C’est donc quelque chose de bien charmant que notre grace et notre gaieté, pour que les caractères les plus sombres n’en puissent éviter la séduction ? L’intelligence des arts, le culte du beau, donnent donc à notre pays une physionomie bien exceptionnelle pour que l’admiration secrète de l’univers nous reste fidèle en dépit de nos travers effroyables ? Eh vraiment ! oui, nous méritons de plaire ; entrez dans notre exposition, et vous vous rendrez compte aisément de l’influence irrésistible que nous exerçons partout. Dans cette grande salle où la lumière a été ménagée avec art, tout charme, et rien ne choque. Il règne autour de vous une harmonie de lignes et de couleurs qui vous force d’abord à ralentir le pas, on sent que tout ce qui vous entoure doit être étudié de près, parce qu’il y a une pensée dans chaque œuvre. Votre premier regard tombe sur la Phryné de Pradier, qui pose blanche et légère devant le magnifique bahut en noyer sculpté de M. Fourdinois, et l’armoire de bronze de M. Barbedienne. Plus loin, entourée des tapis des Gobelins, de Beauvais, d’Aubusson, des porcelaines de Sèvres, se tord la bacchante de M. Clesinger, que les jeunes