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qu’en résultera-t-il ? C’est qu’il parlera à des gens qui ne connaissent pas sa langue. Pour un Anglais qui a pâli toute sa vie sur une table de multiplication, que prouve un objet d’art, un quatuor, une ballade, une pièce de théâtre ? Aussi ne sera-t-il guère tenté par les distractions de ce genre. Si je parle ici des moyennes classes seulement, c’est par pure courtoisie ; je pourrais monter plus haut et dire qu’à part de très honorables exceptions, les Anglais n’entendent rien aux arts, qu’ils feignent de les aimer par orgueil seulement et par mode. Ils ont des musées admirables, un opéra excellent ; ils attirent tous nos bons acteurs, cela est vrai, mais dans la plupart des musées des inégalités honteuses ne vous apprennent-elles pas que c’est là un trésor pécuniaire et non une collection aimée ? A l’Opéra, voyez ce qu’ils applaudissent et quelle réputation ridicule ils ont faite à Jenny Lind ! Nos acteurs, ils les comprennent à rebours, et ils nous gâtent Mlle Rachel. Je suis sûr qu’elle en convient elle-même. Non, l’Imagination et la Raison sont deux sœurs ennemies entre lesquelles, hélas ! il faut le plus souvent choisir, car la première ouvre rarement ses espaces à ceux que la seconde a couronnés. Depuis long-temps, l’Angleterre a fait son choix, elle en recueille les avantages chaque jour ; elle est sage, grande, impassible et sereine, c’est bien quelque chose ; pourquoi ne se résignerait-elle pas à être à nos yeux triste comme l’hiver et ennuyeuse à pleurer ? — Nous avons pris, nous, la route fleurie ; nous sommes fous toujours et malheureux souvent ; en revanche on nous dit gais comme le soleil et amusans comme nous seuls. Là le spleen, ici la fièvre : chacun sa part. Il faut que bon gré, mal gré l’Angleterre s’arrange de la sienne, qu’elle reste fidèle aux usages que la tradition lui commande, que son climat même lui impose, car, en s’éloignant de sa route, elle perd de vue son point de repère et renonce à son caractère sans acquérir celui qu’elle convoite. Il est très vrai que cette tendance ne peut s’observer que dans certains détails de son exposition ; c’en est assez cependant pour qu’on puisse se permettre de la gourmander à cet égard. Eh quoi ! le clinquant de nos boutiques le séduit, ce pays de l’austérité ! Par quel point donc nous touchons-nous ? Un petit détroit nous sépare, et pourtant entre ces deux terres si voisines il n’y a que contrastes et dissemblances. À la porte même du Palais de Cristal, une grave leçon nous est donnée. Quand vous passerez devant l’hôtel du duc de Wellington, remarquez ces fenêtres qui s’ouvraient sur Hyde-Park, et qui depuis vingt ans sont hermétiquement fermées. Il est arrivé qu’une bande de vauriens, dans un jour de mécontentement politique, s’avisa de lancer des pierres contre le palais du vainqueur de Waterloo, et celui-ci, pour toute vengeance, déclara que ces vitres brisées ne seraient jamais remises, et que leurs débris attesteraient éternellement la honte de ce moment d’oubli. Le