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colonies anglaises qui échangent les richesses qu’elles tiennent de la nature contre les produits que la nation qui les gouverne doit à son industrie. C’est Malte, l’entrepôt de la Méditerranée ; voici l’archipel des îles Ioniennes, la clé de l’Adriatique ; c’est la Guyane, la Nouvelle-Galles, le Canada, la Jamaïque, le Cap de Bonne-Espérance, Jersey, cette sentinelle qui nous observe, Calcutta, Bombay et mille autres encore : ce sont les bras de l’Angleterre qui enserrent le monde. Il faut en convenir franchement, au point de vue de la grandeur qu’elle exprime, l’exposition anglaise est incomparable. Dans sa physionomie générale, elle a cela de frappant, qu’elle tient, pour ainsi dire, le milieu entre l’Amérique, ce pays de l’utile, et la France, cette patrie de l’agréable. Sans avoir au même degré que nous l’intelligence du beau et le respect de la fantaisie, les Anglais sont cependant moins absolus dans leur austérité, moins prosaïques en un mot que leurs rivaux du Nouveau-Monde. S’ils ont à peu près les mêmes goûts, les mêmes mœurs, les mêmes tendances, ils admettent du moins une autre manière de vivre et des usages différens : en tout, chez eux, le fond l’emporte ; mais, si la forme se rencontre, ils ne la dédaignent pas. S’ils donnent la préséance à l’utile, ce n’est pas une raison pour qu’ils méprisent tout le reste. Ils sont les plus grands manufacturiers du monde, mais ils ont eu Shakespeare et Byron. Voici une amusante machine qui aurait lieu d’être américaine : c’est un rouage de fer auquel un enfant jette des feuilles de papier et qui crache des enveloppes ; mais voici des ciselures presque françaises, et, à côté de ce bloc énorme de houille, je vois un diamant bleu qui vaut une quantité de millions. On ferait même volontiers le reproche à l’exposition anglaise de s’être laissé trop aller sur cette pente de l’élégance. Elle est, sous bien des rapports, plus frivole que de raison, plus futile que le pays. Il y a là un certain contre-sens fort étudié et une évidente affectation. Nous pouvons nous en glorifier en France, car il est très permis de croire que nous sommes la cause de cette aberration passagère. Les Anglais se moquent de nos folies, et souvent ils ont raison. Quand nous prétendons lutter avec eux, ils nous montrent leur ciel chargé de la fumée de leurs machines, leurs mers couvertes de navires : nous n’avons rien à répondre ; mais au fond ils n’ignorent pas que cette nation si légère allume la torche de la folie à un foyer sans pareil, d’où jaillissent à chaque minute des étincelles qui tiennent le monde en admiration, d’où pourraient sortir demain des flammes pour embraser l’univers. Eh bien ! le croira-t-on ? ce diable au corps qui est le fond de nos vices comme de nos vertus, ces emportemens qui ont fait nos succès comme nos misères, cette grace et cette mobilité d’où la délicatesse et la variété découlent, cet orgueil chevaleresque auquel nous devons notre élégance, cette galanterie même qui est peut-être notre plus grand charme, tout cela l’Angleterre