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y ait fort à dire sur l’inégalité des figures, sur le manque de perspective, sur un certain empâtement général, offre cependant des parties fort bien traitées, très jolies, et cette œuvre, si elle ne mérite pas l’enthousiasme qu’on réclame pour elle, est digne, à tout prendre, de beaucoup d’estime. J’en dirai autant de sa statue d’enfant, qui est, dit-on, le portrait de son fils, M. Ernst Rischel, de Dresde, a exposé deux petits bas-reliefs en marbre blanc, d’un genre anacréontique, fort gracieux l’un et l’autre et touchés avec beaucoup de finesse, et tout à côté un groupe religieux d’un style large, d’un beau caractère. L’échiquier en argent émaillé, de Weishaupt Sohn de Leipzig, est une pièce d’orfèvrerie merveilleuse, je ne crains pas de le dire ; il tiendrait sa place à merveille dans la salle de l’hôtel Cluny, où l’on conserve cet autre échiquier charmant qu’on dit être un don du vieux de la montagne.

Je ne connais pas la Russie, et c’est un de mes regrets. Il n’est pas de pays au monde, je crois, dont on se fasse en général une plus fausse idée. Bien qu’en France, Dieu merci, on n’en soit plus à se figurer les sujets de l’empereur Nicolas comme de rudes sauvages courbés sous un joug de fer et habitant des régions que les ours blancs ne dédaigneraient pas, on hésite cependant à se prononcer sur leur compte. Le contraste est trop grand entre les âpres souvenirs du siècle de Pierre-le-Grand et cette civilisation raffinée, exquise, on dirait volontiers excessive, dont la haute société russe, les femmes surtout, nous apportent chaque année à Paris l’attrayant témoignage. Quand une femme russe se mêle d’être charmante, et cela lui arrive souvent, il ne faut chercher en aucun pays son égale. Elle a une grace tout-à-fait indéfinissable, tout exceptionnelle, qui ne ressemble en rien à la loyauté espagnole, à la passion italienne, à la rêverie allemande, à la réserve anglaise. Cette grace n’est peut-être pas un don de nature ; mais l’art s’y dissimule à force d’art. C’est un mélange de distinction aristocratique, de finesse grecque et de tact français ; ajoutez à cela que dans ces figures d’une pâleur mate, on dirait qu’un rayon de l’Orient est venu s’éteindre. Comment concilier ce charme délicat avec le knout, ces diplomates si habiles avec les Cosaques, et Saint-Pétersbourg avec la Sibérie ? Dans tous les cas, il y a de l’Orient en Russie ; comme on surprend à l’exposition le goût du luxe et l’amour du beau dans ces soieries d’une richesse indienne, dans ces cuirs brodés d’argent et d’or, et dans ce penchant décidé pour les belles matières ! Outre les diamans, les turquoises, les mosaïques de marbre et cette argenterie mêlée de dorures dont ils ont le secret, les Russes ont exposé le mobilier d’un hôtel tout entier en malachite : des tables, des cheminées, des vases énormes, des portes à deux battans de vingt pieds de haut en malachite ! Avec cette pierre, dont nous sommes heureux, nous autres pauvres hères, d’avoir un cachet ou des boutons de manchettes, M. Demidoff