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beaux voyages de Cook et de Bougainville, qui ont allumé dans nos têtes l’amour de l’inconnu ; ces découvertes de Bank et de Solander, qui sont de vieux amis pour nous ; ces combats contre des peuples anthropophages ; ces îles fortunées où l’on trouvait les mœurs primitives et des houris sans pareilles : eh quoi ! tout cela se passait dans un monde à jamais disparu ! Nous en étions restés au capitaine Wilson, au bon roi des îles Pelew, aux Papous, aux nymphes d’Otaïti, presque à Guatimozin et à Montezuma, et quand, après quelques années, nous venons à jeter les yeux vers ces terres vierges couvertes de fruits inconnus, de forêts mystérieuses, de lacs inexplorés, où l’on vivait de manioc et de chiens cuits entre deux pierres, nous n’y voyons plus que des parcs, des châteaux, des villes éclairées au gaz, des théâtres, des femmes élégantes, des voitures à huit ressorts roulant sur un excellent macadam ! Sur les quais, nous rencontrons à chaque pas la gravure qui représente le massacre de Cook à Owhihée par des sauvages nus, tatoués, coiffés de plumes, et tout le monde sait que le souverain actuel des îles Sandwich, sa majesté Tamehameha III, est un des plus fins joueurs de billard de l’univers ! Le Canada lui-même, qui envoie à l’exposition de belles calèches, des harnais élégans, des meubles si comfortables, ne touche-t-il pas de bien près à la patrie de Bas-de-Cuir, le chasseur, et d’Uncas, le dernier des Mohicans ? Cela ne vous étonne-t-il point de respirer les âcres senteurs des plantes de la Prairie en face d’une excellente berline, dont le bois a été coupé dans ces forêts, hier encore inextricables, asiles ignorés des daims et des élans ? Avez-vous oublié les Natchez, Chactas et la douce Celuta, et ces femmes gracieuses qui attachent le berceau de leurs enfans aux branches mouvantes des érables à fleurs rouges ? Eh bien ! ces femmes portent aujourd’hui des chapeaux de Mme Barenne, et les fils du bon Outougamiz sont de dignes fermiers, qui mettent le dimanche une redingote à collet de velours. Sur ces grands fleuves d’où M. de Chateaubriand, laissant dériver son canot d’écorce, contemplait les forêts solitaires, recueillait les bruits imposans du désert, et s’écriait qu’il retrouvait enfin la liberté primitive ; sur ces grands fleuves des myriades de bateaux à vapeur remplissent l’air de fumée, et font tinter leurs cloches à l’approche des villes où ils stationnent. Ah ! la poésie de la nature, avais-je tort de le déclarer, est à tout jamais disparue ? Oui, cela est vrai, les sauvages ont des faux-cols et des sous-pieds. Il ne faut plus songer aux aventures dans les savanes, mais il faut penser que la première moitié du siècle où nous sommes a vu s’accomplir cette inconcevable transformation ; il faut cesser de dire que l’humanité est stationnaire, que notre époque ne fait rien de grand. Je ne sais rien de plus niais que cette maxime banale qu’on va répétant tous les soirs. Jamais au contraire, depuis la création de cette planète, les hommes