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sont plus frivoles dans le royaume-uni, quand elles s’y mettent, que les Espagnoles elles-mêmes, avaient l’habitude d’aller chaque jour en voiture, de quatre à six heures, s’arrêter devant les magasins en renom, de Picadilly et de Regent’s Street. Aussitôt les commis, en habits noirs et têtes nues, leur apportaient dans leurs calèches les étoffes les plus nouvelles, et, si les élégantes ladies n’achetaient pas toujours, elles achalandaient du moins les boutiques. L’'exhibition a mis fin à cette coutume, et les marchands s’en plaignent aigrement. C’est dans le palais de verre que les rendez-vous se donnent maintenant, les vendredis et les samedis surtout, jours où le prix d’entrée est assez élevé (3 et 6 fr.) pour écarter le mob complètement. L’affluence cependant n’y est pas beaucoup moindre, et, à cet égard, toutes les prévisions ont été déconcertées. On s’était d’abord figuré que les premiers jours une telle multitude se ruerait sur Londres, que, chose inouie en Angleterre, on avait cru devoir prendre quelques mesures exceptionnelles pour la sûreté publique ; on s’était trompé. Le début fut assez froid pour donner au prince Albert des craintes sérieuses sur la réussite de cette exposition dont il a été le principal et l’indispensable instigateur. Enfin on s’était dit que les entrées à 1 shilling attireraient une foule tellement énorme, que la recette serait en définitive beaucoup plus forte ces jours-là que les autres. Le contraire est arrivé : les entrées à 1 shilling, ont donné d’abord 24,000 francs seulement, tandis que les visiteurs qui payaient une demi-couronne ont fourni, dès les premiers temps, des recettes quotidiennes de 60,000 francs. On avait empêché les chemins de fer d’abaisser leurs prix pendant le premier mois, tant on redoutait pour Londres l’encombrement des trains de plaisir. Or, la ville était moins bruyante que jamais ; les hôtels étaient vides, on n’y pouvait rien comprendre. En Angleterre et dans toute l’Europe, on avait fait sans doute le calcul de laisser passer les plus pressés ; puis, de tous côtés, on est parti à la fois, et c’est vers le commencement de juin que l’affluence des visiteurs a fait irruption tout à coup. Les recettes s’élèvent journellement, et le moindre tarif a donné déjà des résultats de 71,000 fr. À l’heure qu’il est, tous frais payés, on a encaissé un bénéfice de plusieurs millions de francs, et cette belle exposition se trouve être une admirable affaire industrielle, car elle a devant elle cinq mois de prospérité encore, et la recette d’un seul jour couvre les frais d’un mois, qui s’élèvent, si je suis bien informé, à 60,000 francs environ. Chose singulière, en Angleterre, la difficulté n’aura pas été de trouver les fonds nécessaires à l’édification d’une semblable merveille ; l’embarras sera de dépenser les bénéfices perçus. C’est une question qui agite tout le monde et qui réveille la grande querelle des libres-échangistes et des protectionistes ; elle ne sera pas facile à trancher, et qui d’ailleurs la résoudra ? Les uns demandent la permanence, les autres la destruction