sinon la république, car n’est-ce pas à elle que nous devons la douleur de voir s’accomplir dans un autre pays ce qu’aurait dû faire notre France, cette terre des grandes pensées et des nobles initiatives ? Au moment où le vieil édifice social craque dans le monde entier, le reconstruire sur une base nouvelle, sur la base la plus solide qui puisse soutenir les hommes, sur leur orgueil même et sur leur intérêt, voilà une idée véritablement républicaine, et c’est l’aristocratique Angleterre qui l’a conçue ! Voilà de la fraternité, et combien elle ressemble peu à cette fraternité menteuse que nos démagogues honteux inscrivaient sur nos drapeaux en les envoyant, portés par des bandits, en Belgique, en Suisse et à Rome ! L’Angleterre a fait plus que de découvrir le germe fécond de l’avenir, elle l’a recueilli et lui a élevé le temple le plus extraordinaire qui fût jamais. L’exécution, c’est tout dire, a été digne de la pensée. Je n’ai plus le courage de flâner, maintenant que j’entrevois le but du voyage ; je laisse là le chemin de fer, les champs de houblon, les toits sombres de Londres sur lesquels on semble glisser en arrivant, les maisons noires et la grande Tamise qui roule des flots d’encre ; nous voici au milieu des myriades de voitures qui se croisent sans bruit devant le palais de l’exposition universelle.
À l’extérieur, figurez-vous un jardin d’hiver grand comme le jardin des Tuileries, pavoisé, comme en un jour de fête, de pavillons et de handerolles qui flottent par les airs. L’aspect général est d’une grande élégance, d’une extrême légèreté qui contraste d’une façon frappante avec la physionomie austère et froide des monumens et des maisons de Londres. Un énorme portique s’ouvre devant vous. Dans cette large entrée, qui est là pour la forme, on a établi, pour éviter tout encombrement, une douzaine de petites portes en drap rouge, ne donnant passage qu’à une seule personne à la fois. Sur ces portes, il est écrit qu’on ne vous donne pas de monnaie (no change given) et que vous devez tenir votre argent prêt à la main ; vous vous introduisez dans cette étroite entrée, aussitôt un ressort de fer vous prend à la taille, vous arrête ; vous jetez votre shilling sur un comptoir, le ressort tourne, vous lâche, et sans avoir dit un mot, sans que personne vous ait adressé la parole, vous vous trouvez avoir pénétré, par la plus mesquine de toutes les portes, dans le plus immense espace couvert qu’homme ait jamais entrevu ou rêvé. C’est un monde nouveau, et quel est ce monde ? Voici des arbres d’Europe, énormes et touffus, qui étendent en toute liberté leur feuillage sous ces voûtes transparentes, et voilà un bosquet de palmiers et de bambous qui parle d’Orient, une gigantesque fontaine de cristal d’où jaillissent à grand bruit des eaux limpides, et, à côté de ce frais murmure qui dit les merveilles de la nature, vous entendez les notes solennelles des orgues qui chantent les imposas mystères de la religion ! Dans cette première minute d’éblouissement,