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premier coup de clairon pourtant, ils étaient debout ; au second, prêts à partir. Ces vieux coureurs d’Afrique se réveillaient toujours pour le danger, et l’annonce du péril chassait la fatigue de leurs corps. C’est ainsi du reste qu’ils ont conquis l’honneur de leur nom. Qui ne connaît les zouaves en France ? Réputation juste, glorieuse récompense d’une troupe qui, mieux que pas une, sait se garer d’un danger inutile et dominer le péril nécessaire en se lançant dessus. — « Si tu veux franchir un péril, jette ton ame de l’autre côté, » me disait un jour un vieux soldat. Telle est la devise des zouaves ; elle résume toute leur conduite.

L’alerte cette fois était fausse ; M. le capitaine Boyer, de l’état-major, rassura bientôt le général. Il venait de voir le colonel Espinasse. — Tout va très bien, lui avait dit ce dernier ; il n’y a rien eu de nouveau quelques tués, des blessés, mais point en trop grand nombre. — Se reposer, c’était maintenant la seule chose à faire. Aussi, une heure après, tout ce qui n’était point de service dormait du sommeil du juste.

Le 14 mai, on devait partir à neuf heures du matin. Le général Saint-Arnaud voulait laisser à ses troupes le temps de reprendre haleine. La marche du jour ne devait point être trop longue, et il pouvait accorder quelques heures au chef de l’ambulance, M. de Maistre, qui avait en ce moment plus de deux cent cinquante blessés à soigner. Le départ de blessés du bivouac est à la fois un beau et triste spectacle. Presque tous portent la douleur avec une simplicité touchante. La plainte n’est jamais dans leurs bouches, et sur ces figures vous retrouvez un sentiment de fierté. La marque frappée sur leurs corps par la balle ennemie, ils le sentent, est une marque glorieuse. L’on éprouvait une grande tristesse, par exemple, en regardant ceux que leur blessure allait tuer. Malgré tous les soins, leurs souffrances étaient affreuses ; il fallait les attacher sur les petites chaises de fer suspendues aux flancs des mulets qui les ballottaient ; les amputés seuls pouvaient être étendus dans des litières. L’aumônier de la colonne, M. l’abbé Parabère, que l’on voyait partout où il y avait une douleur à consoler, ne quittait pas un instant les blessés durant les longues marches. Sa figure ascétique était la bienvenue dans tout le bivouac, et les soldats avaient pour lui un profond respect. Les soldats du commandant Valicon portaient son brancard en avant de l’ambulance ; ils avaient sollicité cet honneur comme une grace ; ces braves gens voulaient rendre plus douces ses souffrances, car sa blessure était mortelle ; le commandant le savait. Les dernières heures qu’il passa dans nos rangs furent l’écho de sa belle vie de soldat. Jusqu’à la fin, jusqu’au lendemain, jour de sa mort, le commandant Valicon se montra calme, patient, simplement courageux. Une seule inquiétude agitait son esprit, et il la confiait à