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les lois : le bannissement est regardé comme le plus dur châtiment. Durant la paix, quand ils se livrent au commerce, fabriquant les tissus, les armes, la poudre et — que Dieu les punisse pour cette faute ! — les pièces fausses qui trompent l’Arabe des plaines, le commandement est dans la bouche de tous ; ils ne souffrent point l’autorité, et n’inclinent leurs respects que devant leurs marabouts : les décisions de l’assemblée qu’ils ont nommée sont soumises à l’approbation de chacun, et en temps voulu les crieurs publics courent de village en village, appelant les habitans pour approuver ou rejeter ; mais au jour de l’attaque la volonté de tous se réunit dans le soff (alliance). Les tribus se fondent dans les tribus, les chefs dans les chefs, et un seul est proclamé le maître de la mort. Il fixe le combat et guide les bras. Je te le dis, la poudre est abondante, les défenseurs nombreux : dès que l’enfant peut soulever un fusil, il est inscrit au rang des défenseurs et doit son sang jusqu’à ce que la vieillesse fasse trembler sa main. Les chefs commis par tous veillent à ce que les armes soient toujours en bon état. — A l’heure de la poudre, les plus jeunes prennent leurs bâtons noueux ; ils achèvent l’ennemi, lancent les pierres et emportent les blessés. Les femmes elles-mêmes, dans le combat, excitent les hommes de leurs cris et de leurs chants, car chez les Kabyles la femme doit oser et souffrir autant que son mari, et si le cœur de l’un d’eux faiblit et qu’il vienne à prendre la fuite, elle le marque au haïk d’une marque de charbon. La flétrissure désormais s’attache aux pas du lâche. — Non, jamais tu n’auras entendu autant de poudre, jamais tu n’auras franchi des montagnes semblables ; mais, s’il plaît à Dieu, tu en reviendras, car il est le maître des événemens.

Ali semblait douter dans le fond de son cœur de l’accomplissement de son souhait, et, comme j’allais lui répliquer, il ajouta : — Si un désastre frappait toi et les tiens, souviens-toi de l’anaya[1], et n’oublie pas que les femmes peuvent la donner ; leur cœur est plus facile à émouvoir. C’est à une femme que je dois la vie.

— Je ne sais ce que c’est. Qu’appelles-tu anaya ?

— L’anaya, répondit-il, est la preuve du respect que dans les montagnes chacun se porte à soi-même, le signe de la considération, le droit de protection. Pour un Kabyle, sa femme, son bœuf et son champ ne sont rien, s’il les compare à l’anaya. Le plus souvent un objet connu pour appartenir à celui qui accorde l’anaya est le signe de la sauve-garde. Le voyageur, en quittant le territoire de la tribu, échange ce signe avec un autre gage donné par un ami auquel il est toujours adressé, et de proche en proche il peut ainsi traverser le pays entier

  1. On trouvera sur l’anaya et sur les coutumes kabyles des détails pleins d’intérêt dans le remarquable ouvrage de M. le général Daumas et de M. le capitaine Fabar, la Grande Kabylie.