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vous m’aiderez à venger l’honneur de mon nom. Le fils de Vallejo a déshonoré ma fille, elle-même le proclame ; mais le larron d’honneur est dans ces bois… Vous aussi, seigneur cavalier, le foyer de votre hôte est souillé… A cheval ! à cheval ! Il était fort superflu de discuter en ce moment avec le gaucho ; mieux valait, en feignant de l’aider dans ses projets de vengeance, se ménager l’occasion de sauver celui qu’ils menaçaient, si cela était en notre pouvoir. Nous courûmes donc seller nos chevaux, et en quelques minutes nous fûmes prêts pour une excursion nocturne dont la cabane de Saturnino semblait devoir être le but. Au moment de monter à cheval, je vis le gaucho, outre le lazo attaché derrière sa selle, ceindre son corps d’une courroie de cuir à trois branches, dont deux seulement étaient d’égale longueur. Chacune des trois branches était armée à son extrémité d’une boule recouverte de cuir et de la grosseur du poing. C’étaient les bolas du gaucho, plus redoutables encore que son lacet. Avant de m’éloigner avec mes deux compagnons, je jetai un dernier coup d’œil dans l’intérieur de la hutte : la mère et la plus jeune fille sanglotaient dans un coin de la pièce commune, et à quelques pas d’elles Fleur-de-Liane se tenait accroupie, la tête voilée de son rebozo.

Ce fut vers le pont de lianes que nous poussâmes d’abord nos chevaux ; il était désert comme je l’avais laissé. Après avoir jeté un coup d’œil autour de lui, Cristino descendit précipitamment de cheval et se baissa pour examiner les traces ; il sauta ensuite sur le pont, qu’il traversa, et alla continuer ses recherches de l’autre côté. Nous attendions le résultat de cette enquête, le capitaine et moi, sans échanger un seul mot, et, comme notre attente se prolongeait, je mis pied à terre aussi moi-même. Je n’avais jamais pu voir sans un intérêt extrême les Indiens ou les métis du Nouveau-Monde interroger la terre comme un livre mystérieux. J’allai donc rejoindre le gaucho. Tout à coup mes regards, qui, fixés sur lui, étaient naturellement attirés vers le sol, se portèrent sur un bouquet qui n’avait pu être oublié dans l’herbe que par une des plus jolies et des plus coquettes habitantes du pueblo. Ce bouquet était formé de fleurs sauvages liées entre elles par un rameau de chintule[1] odorant. Ma première pensée fut que cet indice pouvait avoir quelque valeur dans les circonstances où nous nous trouvions, et je retournai auprès du capitaine, qui nous attendait patiemment à l’entrée du pont. — Voilà ce que je viens de trouver, lui dis-je.

— Un bouquet ! C’est sans doute un message symbolique pour Fleur-de-Liane ; il faut le lui remettre à tout hasard.

  1. Espèce de jonc dont les racines donnent, par l’infusion dans l’eau, une douce et agréable odeur qui sert à parfumer le linge.