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Ces jacales ou chaumières étaient situés au milieu d’une grande claie dans laquelle les mouches à feu dessinaient en se croisant mille courbes étincelantes.

— Nous sommes arrivés, me dit le capitaine ; voici devant nous le pueblo de Palos-Mulatos.

J’étais fort heureux, je l’avoue, d’avoir atteint le but de notre pénible excursion. L’aspect calme et joyeux de ce petit village, la chaleur étouffante qui pesait sur nous depuis notre départ de Tepic, le désir de camper à l’ombre des forêts vierges, tout m’eût décidé à choisir cet endroit pour lieu de halte, sans parler même de la grave circonstance qui nous y amenait. Il restait cependant à passer le ruisseau qui défendait les approches du village, et je remarquai bientôt que le capitaine, en promenant ses regards sur ce cours d’eau large et assez profond, avait l’air désappointé d’un chasseur en défaut.

— Mais, de par tous les diables, dit-il enfin, il y avait un pont dans cet endroit !

En ce montent, un homme parut sur l’autre bord. Le capitaine le bêla ; puis, quand l’homme se fut approché :

— N’est-ce point ici Palos-Mulatos ? lui cria-t-il. Où donc est le pont qui menait au village ?

— Vous êtes bien à Palos-Mulatos ; mais les dernières crues ont emporté le pont. Puisque vous êtes à cheval, allez à une demi-lieue d’ici vous trouverez un autre pont, plus solide, qui a résisté au torrent, et dans une demi-heure vous serez rendu à Palos-Mulatos.

— Dans une demi-heure, caramba ! et s’il est trop tard ?

— Il y a bien un autre moyen ; vous voyez là-bas, à gauche, ce réseau de lianes : c’est un pont aussi, un pont que le bon Dieu a fait et que les hommes du pueblo prennent tous les jours ; mais je vous préviens qu’il n’est pas sûr pour les cavaliers.

Le capitaine secoua la tête, il paraissait se défier beaucoup du singulier moyen de communication qu’on venait de lui indiquer. Pour moi, j’étais décidé à gagner le plus tôt possible le hameau, dont l’aspect pittoresque m’avait séduit. J’offris au capitaine de traverser à pied le pont de lianes, tandis que, emmenant mon cheval en laisse, il irait passer la rivière à une demi-lieue de là. Don Ruperto accepta l’arrangement. — En arrivant à Palos-Mulatos, me dit-il en prenant la bride de mon cheval, vous demanderez la cabane du gaucho Cristino Vergara ; vous lui annoncerez ma visite, et vous le prierez de faire mettre à : la broche, pour moi, la moitié d’un chevreau. Allez donc, je vous rejoindrai bientôt.

Le guerrillero partit presque en même temps au galop ; je me dirigeai vers le pont de lianes, et au bout de quelques instans je me trouvai à l’entrée de cette galerie naturelle formée par les entrelacemens de