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qu’il n’osais pas me faire. Palos-Mulatos est un hameau perdu au milieu des forêts, sur la route de San-Blas. Nous pouvions donc, sans sous écarter de notre itinéraire, rendre visite à Cristino Vergara. Je n’avais qu’un regret en quittant ainsi Tepic le jour même de mon arrivée : c’était de me priver d’une semaine de repos dans un séjour aussi charmant ; mais j’avais, après tout, pleine liberté d’y revenir dès que j’aurais terminé les affaires qui m’appelaient à San-Blas, et, une fois hors de Tepic, sur la route des forêts voisines de la mer, je fus tout entier aux sérieuses préoccupations dont je ne pouvais me défendre en pensant au draine où l’indiscrétion de mon compagnon de voyage m’appelait si brusquement à jouer un rôle.

Chemin faisant, le capitaine me donna de nouveaux détails sur l’homme que nous allions voir. Le gaucho Vergara avait conservé dans la vie domestique toutes les habitudes de cruauté qui le faisaient redouter de ses compagnons d’armes. Le capitaine Villa-Señor n’avait pas seul à se plaindre de ce terrible enfant des Cordillères. Dans la population paisible au milieu de laquelle il était venu s’établir, Cristino Vergara s’était aussi créé d’implacables ennemis. Quand il s’était installé à Palos-Mulatos, le Chilien avait amené avec lui, outre sa femme, un fils déjà grand et deux filles en bas-âge. Son fils s’était pris de querelle, à peine arrivé, avec un chasseur bien.connu dans les environs du hameau. Ce chasseur, nommé Vallejo, avait tué l’imprudent agresseur ; mais, à quelques jours de là, il tombait lui-même sous la balle de Cristino. Le fils unique du chasseur, Saturnino, avait promis à son père mourant de le venger, et, bien qu’il eût paru depuis ce jour oublier sa promesse, les voisins de Cristino se disaient que tôt ou tard les événemens mettraient aux prises dans un duel terrible le jeune chasseur et le vieux gaucho.

— De telles mœurs vous étonnent, ajouta le capitaine. Que voulez-vous ? quand la guerre civile éclate quelque part, les guerres de famille la suivent de près. Cette fois, nous avons du moins quelque chance de séparer les combattans, et, si vous m’en croyez, nous piquerons des deux pour arriver au plus vite.

Je ne me fis pas prier, et les chevaux frais que nous avions pris à Tepic secondèrent vaillamment notre impatience. Nous avions quitté, le capitaine et moi, vers quatre heures du soir, la maison de doña Faustina, et vers six heures nous étions déjà en vue des grandes forêts qui annoncent les abords de l’Océan Pacifique. Entre la mer et ces forêts, qui abritent sous leurs cimes verdoyantes une des populations les plus curieuses du Mexique, il y a plus d’un point de ressemblance. Sur les flots comme sous les feuillages, ce sont les mêmes rayons qui se jouent, les mêmes murmures qui résonnent, le même aspect de majestueuse immobilité qui s’offre au voyageur. Dans ces forêts comme