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l’impossible, bien des déceptions accumulées, bien des compétitions fiévreuses, bien des vertus natives effacées au contact de la corruption de la grande ville, et au bout, le plus souvent, le choix entre des issues également coupables. Toujours est-il qu’un soir, passant sur le Pont-Neuf, à Paris, et saluant le roi gascon, « dont l’esprit nouveau n’obscurcira pas le nom, » le poète est attiré par un mouvement étrange qui se fait autour de lui : c’est un jeune homme qui vient de se précipiter dans la Seine, et ce jeune homme c’est Charles, qu’on a grand’peine à sauver. « La mort en avait assez ce jour-là, dit le poète ; l’agonisant au fond d’une barque est étendu ; nous voulons le réchauffer. Sur son visage, une torche jette sa lumière et vient me frapper au cœur j’ai reconnu l’apôtre de la ville, — Charles perdu peut-être, comme il y en a mille, Charles si jeune et qui a voulu mourir… » — Maintenant franchissez quelques années ; revenez un jour de printemps avec le poète à Madaillan. Tout est changé. Plus de ronces, d’orties, ni de chardons, comme la première fois : fruits et épis, vignes, prairies, troupeaux, tout cela est riche à éblouir l’œil. Une noce se prépare et la gaieté est partout. Quel est le marié ? C’est Charles qui, sauvé heureusement de la mort et bien guéri de ses idées, a repris le chemin de son village et s’est remis à l’œuvre. Il a prospéré, et le jour de son mariage il veut rassembler les vieux amis qu’il convia autrefois pour son départ. C’est au milieu d’eux et de ses amis plus jeunes, « sous un berceau d’ormeaux dont les feuilles frémissent, » qu’il découvre à tous son secret dans un simple et moral récit.


« Amis, dit-il, comme vous autres, enfant, de la campagne j’ai savouré l’air frais ; mais, homme fait, la gloriole, un voyage, m’eurent bientôt lancé dans les faux plaisirs. Du simple état de mon père je rougis. J’aurais voulu vous entraîner avec moi. Pour moi, les champs n’étaient qu’un cimetière, et dans la ville enfin quand je parus, tout me dit quelque temps que j’avais raison ; mais la vérité, à mon ame trop jeune, un jour prouva, hélas ! un peu trop fort que, si parfois la ville est un bon port, elle est trop souvent le chemin de la ruine… du désespoir et même de la mort ! de cette mort qui nous vient avant l’heure ! de cette mort qui, lorsque nous l’allons chercher, fait qu’au ciel, dit-on, la mère de Dieu en pleure ; et je le savais, et je l’ai fait pleurer ! Perdu, ruiné, un de ces jours où Dieu nous quitte, je rencontrai le gouffre et lui jetai ma vie… La mort sans doute, ce jour-là, en avait assez, car un matin je me vis sur un lit ; l’œil de mon père était fixé sur moi, et, dans ma fièvre, j’entendis ces mots : « L’or et l’honneur, malheureux, dans ton berceau étaient cachés sous la terre à tes pieds… » — Éclairé, à moitié guéri, je revins dans la vallée. Pendant quarante mois, vous m’avez vu tenir tête au travail ; le bonheur m’a souri, j’ai guéri tous mes maux. La campagne fut mon berceau, elle sera ma tombe, car j’ai compris la terre, j’ai sondé ce qu’elle vaut… La longue paix sortira de la terre ; les plus savans se feront laboureurs. Nous verrons partout fléchir la branche plus chargée ; la vigne épandra ses grappes plus fournies.