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savamment remaniées, telles que les Deux Jumeaux et la Semaine d’un fils, — la Vigne, ce morceau enchanteur et exquis de sentiment qui est tout simplement un chef-d’œuvre, — un poème d’hier, Ville et Campagne ou Gloriole et Pauvreté, qui réfléchit un des côtés de notre époque, — et ce que le poète appelle ses Pèlerinages dans les villes du midi de la France. Bien loin de décliner dans ces vers, le talent de l’auteur de Marthe semble s’y fixer en une sorte de maturité assurée et féconde à l’abri des fausses suggestions contemporaines. Comme poète, Jasmin s’y montre dans toute la flexibilité de son génie ; comme homme, il y apparaît dans toute l’excellence d’une nature rare et dans la variété d’une vie que tout un pays se partage. Cela ne va ni plus ni moins que de Limoges à Bayonne et de Bordeaux à Marseille. Jasmin semble recomposer à son usage ce monde roman évanoui pour en faire le théâtre d’une gloire exceptionnelle et charmante, et y chercher un complice à la charité dont il se fait l’apôtre. C’est un barde, lui aussi, peut-on dire, mais un barde de notre temps, dont l’existence même sert à marquer les différences morales des époques et les conditions auxquelles la poésie peut revêtir encore comme un caractère public. Ainsi que le lui disait M. Dumon, — dont le nom est en tête de ce nouveau recueil, aujourd’hui qu’il n’est plus ministre, -c’est un barde dont les actions valent les poèmes, qui bâtit des églises, secourt l’indigence, fait du talent une puissance bienfaisante, et dont la muse aime à se faire soeur de charité. Jasmin offre aujourd’hui parmi nous le spectacle rassurant, et où l’œil est heureux de se reposer, d’une poésie merveilleuse s’exhalant sans effort d’une vie simple, droite et pure, comme de son foyer le plus naturel, le plus précieux et le plus rare.

Il y a dans la vie du poète méridional, comme dans son caractère et dans son talent, un mélange singulier de traits qui semblent s’exclure depuis que d’ingénieux sophistes ont imaginé de mettre la guerre entre l’idéal et le réel, et de confondre la mesure dans laquelle se combinent ces élémens humains. L’imagination et le bon sens, l’idéal et le réel se mêlent dans la vie de l’auteur des Deux Jumeaux d’une manière charmante. Chacun y a sa part sans détruire l’autre ; ils se viennent en aide au contraire et s’arrangent pour imprimer à cette physionomie une généreuse et saisissante originalité. Jasmin, à coup sûr, a l’existence la plus poétique, la plus idéale de ce siècle, et en même temps, au sein de cette existence enivrante, c’est le vrai, peut-être le seul sage aujourd’hui. La vie de Jasmin n’est-elle pas une fête perpétuelle, une série de pèlerinages, comme il les nomme, où l’enthousiasme des populations l’accompagne ? Le poète va de ville en ville ; il peint d’un trait au passage chacune d’elles, — Angoulême au doux parler, « jolie reine de l’air, assise sur un roc fleuri et baignant ses pieds dans les flots bleus et rians ; » - Tarbes, la reine de Bigorre, assise dans