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savans artifices de l’imagination, pour lui faire exprimer les sentimens les plus élevés, la philosophie la plus douce, et lui faire peindre ce monde populaire d’où elle émane. Ce serait peut-être une question des plus curieuses à débattre que celle de savoir si une grande poésie est possible dans ce qu’on peut appeler proprement un patois. Pour moi, je ne le crois pas. En fait de poésie patoise, je ne connais que celle des vaudevilles, des opéras et quelquefois des tragédies ; mais il se peut bien qu’une grande et réelle poésie se produise dans une de ces langues vieilles, originales, nationales à beaucoup d’égards, restées entières dans quelque coin d’un pays, parce que ces langues répondent aux instincts, aux habitudes, au génie intime de toute une race, et que là est la source et l’aliment de toute poésie. L’idiome de Jasmin est dans ces conditions et n’est nullement un patois, comme on semble le croire parfois. Montaigne, ce charmant philosophe gascon, disait déjà de son temps : « Il y a bien au-dessus de nous, vers les montagnes, un gascon que je trouve singulièrement beau, sec, bref, signifiant, et à la vérité un langage masle et militaire plus qu’autre que j’entende… » L’auteur des Essais ne parlait pas de l’éclat, de la vivacité, de la richesse colorée de ce gascon, ainsi qu’il l’appelait. Ce gascon, c’était la langue de Bernard de Ventadour, de Geoffroy Rudel et de Gaston Phoebus, devenue ou restée la langue du peuple, et qui a eu encore dans ces conditions populaires sa lignée de poètes, les Goudouli, les Dastros, les Despourrins. Jasmin est le dernier et le plus grand. « Nous aimons notre joli langage, dit le poète contemporain ; pourquoi en prendre tant d’ombrage ? Est-ce qu’à la même fontaine toute la France boit ? Le Nord chez lui a son visage ; chez lui, le Midi a le sien… » L’auteur de Françounetto s’est plu à réunir dans l’Épître à M. Dumon et dans l’ode sur Despourrins tout ce que l’amour d’un vieil et populaire idiome peut inspirer de vive et touchante poésie. Après cela, irons-nous ajouter cette autre très solennelle, très philosophique et très oiseuse question : — Une telle langue est-elle destinée à s’effacer définitivement et à périr ? — Elle vit ; voilà la réponse. Elle a donné à notre siècle un de ses poètes le plus originaux, en qui le talent ne se manifeste pas au détriment du caractère, dont l’inspiration ne coûte rien à la morale la plus pure et au bon sens le plus droit, et qui est fêté, compris, aimé par toute une race populaire, comme il est fait pour charmer l’esprit le plus élevé. Cette langue a produit dans divers genres la Charité, l’Épître à un agriculteur, le Voyage à Marmande, qui atteignent tour à tour aux plus hautes effusions lyriques ou à la grace piquante d’un Horace ou d’un La Fontaine ; — l’Aveugle ; Marthe, les Deux Jumeaux, où le drame de la passion humaine s’encadre merveilleusement dans la peinture des mœurs locales ; elle produit encore le recueil nouveau des Papillotes, pour lui laisser son titre, où l’auteur méridional rassemble quelques-unes de ses compositions