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le point commun entre ces œuvres ? Ce lien invisible et réel, ce sera, si l’on veut, cette mystérieuse et saisissante analogie qu’il est facile de remarquer dans la destinée des idiomes qu’on y retrouve. Cette langue celtique des poèmes bretons recueillis et commentés par M. de La Villemarqué, cette langue gallo-latine que fait vibrer Jasmin dans ses vers, que sont-elles autre chose toutes deux, dans l’ensemble puissant de la civilisation, que des langues vaincues et survivant encore néanmoins, entendues et parlées par des races également fidèles ? Observées au point de vue des résultats généraux de l’histoire littéraire, cette communauté de fortune est leur trait de ressemblance et ce qui les rapproche ; observées en elles-mêmes, elles offrent comme un dernier témoignage de ce qu’il y a eu de distinct, d’original dans ces génies dont elles sont l’expression, et dont les nuances diverses ont contribué à former le génie universel de la France.

Si l’histoire des langues que j’appellerai conquérantes, des langues destinées par leur fortune à prendre ce caractère dominateur et à devenir les organes consacrés des mouvemens victorieux de la civilisation, — si cette histoire, dis-je, a quelque chose d’imposant, n’y a-t-il pas dans la destinée des langues auxquelles il faut bien donner le nom de vaincues quelque chose de plus émouvant comme dans tout ce qui reste inachevé ? Tel est en effet le caractère de ces idiomes qui n’ont pu arriver à prévaloir dans l’ordre général des phénomènes intellectuels, et qui se perpétuent sans se développer il est vrai, mais aussi sans mourir. On sent en eux comme une verdeur première qui n’a point mûri, comme une sève native prématurément comprimée. Contemporains de la jeunesse des races, merveilleusement propres à exprimer les sentimens vierges, les impressions spontanées et vigoureuses, les mouvemens simples de l’ame, les rapports des hommes dans leur primitive essence, il est trop facile de distinguer ce qui leur manque pour suffire à l’expression d’un ordre d’idées et de sentimens plus variés et plus complexes. À la simple inspection de leurs élémens propres et de leur structure actuelle, on pourrait fixer le jour et l’heure où la croissance s’est arrêtée pour eux. Tels qu’ils sont, ces idiomes cependant ont eu leur moment de souveraineté et d’éclat, où ils étaient parlés avec honneur, où ils étaient la langue des cours, comme on disait autrefois, celle des esprits cultivés comme des esprits les plus humbles, et où ils suffisaient à tous les besoins. Dépossédés de leur droit de cité en quelque sorte, à mesure que naissaient et se développaient de nouvelles langues plus savantes, plus honorées, et qui leur devaient tien à eux-mêmes quelque chose à vrai dire, ils se réfugiaient dans les profondeurs de la vie populaire, moins sujette aux altérations. Tandis que la politique changeait la face de l’Europe, mêlait les peuples, travaillait à fondre les petites nationalités primitives dans des