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THEÂTRES. — MERCADET, par M. de Balzac.

Il est des esprits qui rêvent toute leur vie la gloire du théâtre sans jamais pouvoir la posséder complètement. M. de Balzac était de ceux-là. Que lui a-t-il donc manqué pour réussir à la scène comme dans le roman ? Esprit original, habitué dès long-temps à l’étude de tous les travers, à l’analyse de tous les vices, pourquoi n’a-t-il pas su produire au théâtre avec avantage, avec éclat, le fruit de ses observations ? La pièce qui vient d’être jouée au Gymnase, quoique loin encore de satisfaire à toutes les conditions de l’art dramatique, réunit de nombreux élémens d’intérêt. Il y a des traits pris sur nature, et qui feraient honneur aux poètes de premier ordre. Ce qui a manqué à ces élémens pour former une véritable comédie, c’est l’ordonnance. Tous ceux qui ont lu attentivement les œuvres de M. de Balzac savent à quoi s’en tenir sur la valeur et la portée de son talent ; Je ne les étonnerai pas en leur disant que Mercadet laisse beaucoup à désirer sous le rapport de la prévoyance, de la composition. Si j’excepte en effet Eugénie Grandet et la Recherche de l’Absolu, toutes les œuvres de M. De Balzac présentent le même caractère. Il prodigue la vérité, et ne sait pas en tirer parti ; il accumule ses souvenirs, et ne prend pas la peine de les trier ; il se complaît dans les détails, et ne comprend pas la nécessité de sacrifier, de laisser dans l’ombre la moitié des traits qu’il a rassemblés, pour donner à l’autre moitié plus de valeur et de relief. Mercadet nous présente l’étoffe d’une excellente comédie ; malheureusement la comédie n’est pas faite.

Le sujet prix en lui-même est loin assurément de mériter les éloges du moraliste. Le principal, je pourrais dire le seul personnage, ne paraît pas posséder une notion très nette du tien et du mien, du juste et de l’injuste. Cependant cette objection ne suffit pas pour condamner le sujet choisi par M. de Balzac. Plaute et Molière, maîtres consommés dans l’art dramatique, ont plus d’une fois mérité le même reproche. On citerait sans peine plus d’un personnage crée par leur génie qui mérite les galères. Regnard et Lesage seraient enveloppés dans la même proscription. La comédie, nous dit un vieil adage, châtie les mœurs en riant, Eh bien ! M. de Balzac nous montre le spéculateur à l’œuvre, le spéculateur à bout de ressources, et trouve moyen d’amener le rire sur nos lèvres : il n’a donc pas méconnu la définition consacrée. Je ne crois pas que la représentation de Mercadet soit de nature à multiplier les fripons. Je crois plutôt qu’elle appellera la haine et le mépris sur les faiseurs, sur cette race d’hommes sans foi ni loi, qui n’ont en vue que le succès, et qui sacrifient à leurs rêves de richesse toutes les affections, tous les devoirs que la foule est habituée à respecter. Si le tableau n’est pas fait, nous possédons du moins tous les documens, qui peuvent servir à le composer. Le peintre qui voudra l’entreprendre trouvera dans Mercadet toutes les couleurs dont il aura besoin. Il n’aura que la peine de les choisir et de les ordonner.

Mercadet, je l’avoue, est un franc coquin, mais un coquin plein de verve et de gaieté. S’il dépensait pour le bien la moitié du génie qu’il prodigue pour le mal, il prendrait rang parmi les hommes les plus intègres et les plus utiles.