est son audace ? où donc est la nouveauté de cette critique qui s’est attire tout à coup des sympathies si empressées et des inimitiés si rudes ? La nouveauté, c’est que M. Barthel annonce le désir de juger toute la littérature moderne au nom du christianisme, c’est que le christianisme à ses yeux, et il le dit très haut, le christianisme seul peut renouveler la poésie en Allemagne. Dans un pays où presque toute la partie active et lettrée de la nation, depuis le disciple des docteurs athées jusqu’au simple rationaliste, depuis le métaphysicien en délire jusqu’au rimeur de sonnets, abjure chaque jour le sentiment chrétien, il y avait quelque hardiesse à s’exprimer de la sorte. Je ne dis pas, certes, que l’esprit chrétien soit proscrit de l’Allemagne entière, je dis qu’il est à peu près absent des lettres, et que la philosophie, l’histoire, la poésie, le rejettent sans cesse avec injure. Or, écoutez avec quelle franchise, avec quelle ouverture de cœur, M. Barthel proclame sa croyance et abaisse devant elle : cette littérature infatuée : « Ce que l’avenir de notre littérature cache dans son sein, personne ne le sait. Une chose au moins est certaine, c’est que ni dans l’ordre intellectuel ni dans l’ordre social notre situation ne deviendra meilleure, avant que la passion fiévreuse de ce temps-ci ne s’apaise, avant que le mensonge de ce siècle ne soit sous nos pieds, avant que nous n’ayons reconnu tous ensemble que le salut n’est ni dans telle ou telle forme de gouvernement, ni dans telle ou telle constitution de l’église, ni dans tel ou tel grand génie dominateur de l’art, mais dans celui-là seul qui est la source de toute vérité et de toute beauté, dans Jésus-Christ ! » Déjà, il y a quelques années, un esprit d’élite, M. Henri Gelzer, avait jugé au même point de vue la littérature allemande depuis Lessing jusqu’à l’école romantique ; un historien littéraire très distingué, M. Wilmar, avait porté aussi un véritable enthousiasme chrétien dans l’étude du moyen-âge ; mais appliquer ce criterium aux vivans, jeter le nom du Christ au milieu des esprits frivoles et des intelligences révoltées, le jeter avec un sincère, avec un si naïf accent de prosélytisme, voilà, je le répète, l’audace et l’originalité du manifeste de M. Barthel.
Si le criterium religieux et la noblesse morale de M. Charles Barthel ne méritent que des encouragemens, il faut bien reconnaître néanmoins que toute la partie esthétique de son travail aurait pu être plus largement conçue. La mesure en toute chose est le point essentiel. « Vous me reprocherez mes exigences, s’écrie-t-il quelque part ; vous trouverez que je considère trop l’Allemagne nouvelle au point de vue exclusivement théologique : il se peut bien que cela soit ; mais, quand on est théologien, il n’est vraiment pas facile d’abdiquer. » M. Barthel a senti lui-même l’inconvénient de sa manière, et il s’en accuse, — ou s’en défend, comme on voudra, — avec une bonhomie qui ne manque pas de charme. Allons toutefois au fond des choses, et ne nous payons pas d’une justification banale. Que veut M. Barthel ? Quel but poursuit-il ? Il veut agir à la fois et sur les écrivains et sur le public, dont le suffrage ou le dédain les redresse ou les égare. L’éducation du public, et par là une influence indirecte sur les poètes, sur les artistes que l’avenir nous garde, voilà le résultat que M. Barthel espère atteindre. Or, ce n’est pas à un public de théologiens qu’il s’adresse ; la théologie ne doit pas tenir la première place dans ses appréciations, elle ne doit pas surtout rejeter dans l’ombre les conseils, les reproches, les indications fécondes du critique. Que le théologien prête un utile