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son timide esprit, trop pressé de conclure, n’a-t-il, pas tiré de son étude tous les enseignemens qu’elles renferme ?

Après Joseph II viennent les portraits philosophiques et littéraires, celui de Mendelssohn d’abord, dont les réformes, plus intelligentes et plus humainement accomplies que celles de l’audacieux empereur, ont eu des résultats plus durables. M. Kühne fait connaître dans sa vie intime ce noble réformateur du judaïsme, il raconte avec charme toutes les difficultés qu’il eut à vaincre et les triomphes qui couronnèrent sa patience. Pour être compté en dehors de sa communion et de sa race, pour prendre seulement pied en Allemagne, pour atteindre, en un mot, à ce qui était le point de départ des autres écrivains de son siècle, il fallut à Mendelssohn des efforts extraordinaires. Après la publication du Phédon en 1767, Mendelssohn était avec Lessing le nom le plus fêté de la littérature. Oui, ce fut comme une fête, et M. Kühne en exprime bien les nobles joies, une fête philosophique et morale, la démonstration de l’immortalité de l’ame, telle qu’elle est exposée dans le Phédon de Mendelssohn, a été, on peut le dire, une sorte d’événement et d’enchantement pour l’Allemagne. D’autres écrivains qui ont trouvé place à côté de Mendelssohn dans la galerie de M. Kühne, Maximilien Klinger et George Forster, Hoelderlin et Henri de Kleist n’appartiennent pas au même mouvement d’idées ; le caractère impétueux de leurs travaux et la tristesse de leur sort fait mieux apparaître dans sa sérénité l’image de celui qu’on a appelé le Platon israélite. Mendehsohn avait réfuté Jean-Jacques Rousseau ; c’est dans les paradoxes enflammés de l’auteur d’Émile que Klinger puisait son enthousiasme. Romancier, dramaturge, il inventait avec une emphase sincère des personnages froidement exaltés, des héros déclamatoires en lutte avec le ciel et la terre : espèce de Schiller, dit M. Kühne, mais un Schiller moins le génie poétique, moins le sentiment de l’art et la science de la forme, l’ébauche d’un Schiller qui n’est pas venue à bien. Ce que M. Gustave Kühne cherche et retrouve au milieu des œuvres manquées de Klinger, c’est une ame forte, stoïque ; inébranlable, une ame supérieure au talent, tandis que si souvent, chez le peuple des lettrés, c’est le talent qui vaut mieux que l’ame. Hommes de l’Allemagne, a écrit M. Kühne à la première page de son livre, — et, fidèle à sa promesse, ce sont des caractères qu’il étudie, caractères incomplets parfois comme celui de Joseph II, mais passionnés pour une idée, attachés à une croyance, et marqués du sceau de la noblesse morale. Tel est encore George Forster : né à Dantzig en 1755, il parcourt la Russie avec son père à l’âge de huit ans, est élevé en Angleterre jusqu’à sa dix-septième année, et accompagne le capitaine Cook, de 1772 à 1775, dans son second voyage autour du monde. Revenu en Allemagne, il se mêle avec ardeur au mouvement littéraire et devient bientôt un des premiers écrivains politiques de son pays. Allemand par le cœur, cosmopolite par les impressions de sa jeunesse et la prompte ouverture de son esprit, il éveille chez ses compatriotes le sentiment de la vie active en les initiant aux travaux de l’Angleterre et aux résolutions de la France. 89 éclate, Forster sera notre interprète auprès de l’Allemagne. Son enthousiasme n’est pas de longue durée ; il passe à Paris la première année de la république, et les lettres qu’il adresse à sa femme sont un des plus curieux documens qu’on puisse consulter sur les impressions de cette sanglante période. Voici ce qu’il lui écrit en mars 1793 : « Je devrais faire, dis-tu, l’histoire